la feuille volante

Utrillo, mon fils, mon désastre

N°1802– Novembre 2023

 

Utrillo, mon fils, mon désastre (selon Suzanne Valadon) – Corinne Samama – Ateliers Henry Dougier

 

Prenant prétexte de quelques mots qu’une Suzanne Valadon vieillissante, prostrée dans une chambre d’hôpital, confie au lecteur anonyme, l’auteure, dans un récit qui tient du roman autant que de l’histoire, s’approprie la vie de cette femme et surtout les rapports compliqués qu’elle a eus avec Maurice Utrillo, ce fils né d’un père inconnu alors qu’elle n’avait que 18 ans. Cette bâtardise qui lui rappelle tant la sienne, la détermine à l’abandonner aux bons de sa mère et pourtant elle s’attache viscéralement à lui et le soutiendra toute sa vie, malgré son alcoolisme, ses crises, ses révoltes, ses menaces. Cette abnégation maternelle est pourtant un paradoxe qui va de son soutien constant à son opposition à son mariage avec Lucie, une jeune veuve, sa meilleure amie, alors qu’il a 52 ans ! A ses yeux ce mariage tarirait son inspiration mais mettrait aussi fin à la situation de profiteur de son second mari, Utter, dont elle est pourtant follement amoureuse, avec qui elle forme un couple atypique où la sensualité le dispute à la violence, mais qui la trompe. D’ailleurs la vie sentimentale du couple mère-fils est quelque peu bouleversée et bouscule les conventions morales de l’époque, Maurice épousant une jeune et riche veuve, Suzanne, le meilleur ami de son fils !

Il y a aussi une dimension de jalousie maternelle puisque Maurice et elle sont des autodidactes de la peinture mais la facilité et le succès consacrent son génie à lui qui n’éclate que grâce à l’alcool. Il réalise ainsi les propres rêves artistiques de Suzanne qui, malgré un talent indéniable et le soutien de grands artistes de l’époque, était fondée à s’imaginer une célébrité légitime qu’elle n’a pas vraiment eue. Cette frustration baigne ses propos désabusés où se mêle également une culpabilité qu’elle tente d’exorciser en un procès à la fois fictif et pathétique.

 

Le style gouailleur de ce livre m’évoque parfaitement cette femme, à la fois marginale, fantasque, aimant la vie, l’amour, l’art et la liberté. Avec ce roman, bien documenté, j’ai eu plaisir à retrouver Utrillo, ce peintre emblématique de son époque, mais aussi sa mère, Suzanne Valadon, malheureusement un peu oubliée aujourd’hui, qui fut son soutien malgré ses déceptions et leurs relations difficiles et orageuses, leurs échecs.

 

Je retiens de ces deux personnalités la remarque de Robert Rey, historien et critique d’art « Utrillo et Valadon sont deux êtres qui s’aiment et se ratent en permanence ».

 

 
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