Colette et les siennes
- Par hervegautier
- Le 26/05/2019
- Dans Dominique BONA
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La Feuille Volante n° 1351 – Mai 2019.
Colette et les siennes – Dominique Bona – Grasset.
Ce livre est moins une biographie de Colette (1873-1954) comme Dominique Bona les affectionne, qu'une évocation de cette écrivain anticonformiste qui, à l’âge de 41 ans, d'août 1914 à 1916, alors que les hommes et particulièrement son cher mari, Henry de Jouvenel, sont au front, choisit, pour fuir la solitude, de s'entourer chez elle à Paris, à l’orée du Bois de Boulogne, de ses amies, la comédienne Marguerite Moreno (1871-1948), la journaliste Annie de Pène (1871-1918) et la danseuse de cabaret Musidora (1889-1957). L'auteure pourtant en profite pour revisiter la vie de ces quatre femmes, même au-delà de cette période, et particulièrement celle de Colette. Ce chalet parisien prend des allures de phalanstère et c'est pour elles un refuge, un univers. Ce sont des femmes au destin différent et pourtant commun tant elles étaient prédestinées à se rencontrer, qui ont une histoire personnelle mouvementée et pleine de secrets et ont, chacune à sa manière, déjà affirmé leur liberté et leur originalité par des choix personnels, même à une époque où les femmes étaient sous la tutelle des hommes. Cette liberté, à la fois amoureuse, sociale et artistique, elles l'ont payé cher plus tard par des revers de fortune et une grande solitude intime malgré leurs liens très forts et le silence qui faisait aussi partie de leurs échanges. Elles vivaient et étaient elles-mêmes dans ce microcosme en prenant bien soin de ne pas ressembler aux hommes et à tirer un trait qu'elles voulaient aussi définitif que possible sur leur vie d'avant comme en témoigne sans doute l'usage d'un pseudonyme. Scandaleuse, Colette l'avait été sur les scènes de music-hall ou de cabarets, comme elle l’a été ensuite dans ses choix matrimoniaux, ses amours saphiques et quasi incestueux ; elle se voulait indépendante dans ce chalet dédié aux femmes mais c'est un homme qu'elle attendait et qu'elle allait même rejoindre sur le front à Verdun, son mari Henry de Jouvenel. La guerre qui faisait rage obligea ces femmes à trouver des sources de revenu ce que chacune a fait, en se consacrant qui à l’écriture, qui au journalisme, qui au théâtre et au cinéma mais avec des fortunes diverses et à partir de 1916, le chalet ne sera plus pour chacune d’entre elles qu’un beau souvenir et le début d’une nouvelle vie faite de voyages, de liberté, d’aventures. La guerre a été une épreuve pour Colette qui retrouva Henry à la fin du conflit, mais cet homme volage lui échappait de plus en plus et, alors qu’elle aurait voulu lui appartenir et le garder pour elle, elle souhaitait en même temps une grande liberté pour elle-même. Elle craignait surtout la solitude, ce qui est paradoxale pour un écrivain qui en principe la cultive comme le terreau de l’écriture. Plus inattendu peut-être, pour faire échec à son isolement, elle alla même jusqu’à entretenir des relations amicales… avec les anciennes maîtresses successives de son mari ! Elle renoua avec les mondanités pour soutenir la carrière politique d’Henry et son appétit de vie l’a fait basculer dans des amours de contrebande que la morale bien souvent réprouva, surtout à cette époque. Colette connut des revers dans ces passades qu’elles auraient voulues pérennes, sa vie fut une longue recherche du bonheur émaillée de fuites, de passions, de ruptures, de trahisons, de renaissances, de divorces. A part Annie de Pène, fauchée par la grippe espagnole après la Grande Guerre, ces femmes, après cette parenthèse amicale commune, ont correspondu, se sont croisées, faisant en quelque sorte perdurer, malgré le temps, les liens tissés dans leur phalanstère. Colette reste un écrivain qui échappe aux étiquettes et ses romans se sont nourris de ses passions, de ses engagements personnels, de sa vie amoureuse par ce fameux effet miroir, cet aspect de l’écriture, à la fois prémonitoire et cathartique, cette alchimie mystérieuse et si profondément humaine qui font les bons auteurs.
De même qu'on ne s'improvise pas romancier, on n'écrit pas des biographies par hasard, surtout quand, on est un auteur de fiction du talent de Dominique Bona et il est sans doute dommage qu’elle ne se consacre plus au roman comme elle l’a fait au début de sa « carrière ». Dans son précédant ouvrage (« Mes vies secrètes ») elle a confié que le biographe s'efface volontairement derrière l'écrivain dont elle a choisi de parler, mais il m'a toujours semblé que, à travers un parcours qui n'est pas le sien, même si elle garde autour de sa personne un secret de bon aloi, elle évoquait, en creux, un peu de ses passions personnelles, de ses aspirations intimes. Cet ouvrage est évidemment fort bien écrit et passionnant comme elle en a habitué ses lecteurs et c'est devenu un lieu commun que de souligner autant la fluidité du style que la richesse et la précision documentaires, jusque dans le détail, d'une biographie écrite par l’académicienne. Elle est évidemment tenue par le déroulement des événements qu’elle évoque et qui rythment la vie des personnages qui sont l’objet de son étude mais elle ne se contente pas d'énoncer des faits, elle s'approprie la vie de ses sujets, tente de les comprendre, en excuse parfois les excès, en essayant de percer peut-être leurs secrets intimes mais elle respecte surtout ce que l'histoire ne révèle pas, en s'interdisant de fantasmer sur l'inconnu. Ici, elle nous fait partager l'univers de Colette, son amour de la liberté, son papier bleu, son encre couleur d'azur, ses mots profondément humains où les cinq sens sont sollicités qui nous transmettent son sourire, sa joie de vivre malgré les épreuves que la vie lui a envoyées.
©Hervé Gautier.http://hervegautier.e-monsite.com
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