l'adversaire
- Par hervegautier
- Le 27/10/2017
- Dans Emmanuel Carrère
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La Feuille Volante n° 1180
L'adversaire – Emmanuel Carrère – P.O.L.
Je me souviens de cette affaire judiciaire qui alimenta la chronique pendant de nombreux mois dans les années 90, celle de Jean-Claude Romand qui tua ses parents, sa femme et ses deux enfants et mis le feu à sa maison mais surtout qui s'était fait passé pendant plus de dix-huit ans, auprès de sa famille et de ses amis, pour ce qu'il n'était pas, étudiant en médecine d'abord puis médecin travaillant à l'OMS et à l'INSERM à Genève toute proche, et tout le train de vie qui allait avec. Son nom aurait pu attirer l'attention, mais plus sérieusement surtout quand on songe à l'épilogue, on est confondu devant l'énormité de ses ruses, il est vrai favorisées par une organisation très simple mais efficace et par d'exceptionnels concours de circonstances favorables à ses dissimulations. Comment a-t-il pu donné le change pendant toutes ces années, sinon à considérer que pour tout être humain, plus le mensonge est gros plus il prend ? Il n'était finalement qu'un escroc, doublé, à la fin d'un assassin. Je ne suis pas sûr, comme le dit l'auteur, que s'il y avait effectivement le faux docteur Romand, « il n'y avait pas de vrai Jean-Claude Romand ». Je veux bien que l'accusé ait lui-même prétendu devant la Cour qu'il ne comprenait pas ce qui lui était arrivé, mais, même si je n'ai pas vraiment suivi ce procès comme un spécialiste, il m'apparaît qu'il ne faisait ainsi que prolonger cette duperie qui avait si bien fonctionné auparavant en espérant que cela dure, et ce même devant un tribunal ! il n'en reste pas moins qu'il savait ce qu'il faisait en se jouant à lui-même et aux autres cette comédie qui n'était pas autre chose qu'une mystification montée au départ pour cacher son inadaptation à la vie et son retrait de la société. Il avait même eu soin de prendre les apparences flatteuses du notable attentif aux rituels religieux ordinaires, ce qui est toujours remarqué dans la société traditionnelle et bien pensante. Il savait qu'agitant devant les autres l'épouvantail du cancer dont il prétendait souffrir, il coupait court à toutes les demandes d'éclaircissements à supposer qu'elles existent. Il ne pouvait ignorer que son imposture ne pouvait, à terme, qu'être découverte ne serait-ce qu'à cause des sommes appartenant à ses parents et amis qu'il disait avoir placées, alors qu'il n'en était rien. C'était pourtant jouer gros parce qu'il se savait fragile et qu'en bien des circonstances il a été sur le point de tout avouer.
Il ne lui restait donc plus qu' à effacer les traces de tout cela, mais il aurait quand même pu le faire sans devenir l'assassin de sa propre famille. Se suicider eût sans doute été une manière de sauver les apparences mais il n'en a même pas eu le courage, apeuré sans doute par la mort qu'il ne pouvait s’infliger à lui-même alors qu'il venait de la donner aux siens. Face à la Cour, il n'avait plus qu'à jouer une dernière comédie, sachant parfaitement que nous sommes dans une société judéo-chrétienne. C'est toujours facile de proclamer qu'on a découvert Dieu en prison, qu'on croit à sa rédemption et a son infinie bonté. C'est facile de se parer de mysticisme, des apparences de la dévotion et de citer l’Évangile, mais il oubliait seulement le commandement de ce même Dieu qui lui interdisait de tuer. II ne risquait plus la peine capitale et il le savait, il pouvait donc continuer à poursuivre cette tartuferie qui avait déjà duré 18 ans ! A-t-il pensé que Dieu qui l'avait protégé pendant tout ce temps avec cette chance insolente, continuerait en inspirant de la mansuétude aux jurés, qu'il a d'ailleurs sollicitée dans sa dernière intervention? Peut-être mais la justice des hommes est heureusement d'une autre nature et la prison à vie a été sa réponse.
J'ai lu ce document, passionné par le mystère qui l'a entouré et favorisé par des apparences sociales de notable qui ont abusé tout le monde. J'ai appris beaucoup de choses. Je me demande s'il était bien sain d'écrire ce livre, certes avec talent et, plus tard, de tirer des films de cette malheureuse aventure. C'est donner à Romand une aura qu'il ne mérite pas .
© Hervé GAUTIER – Octobre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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