Messieurs les ronds de cuit
- Par hervegautier
- Le 05/01/2024
- Dans Georges Courteline
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N°1814 – Janvier 2024.
Messieurs les ronds-de-cuir - Georges Courteline – Flammarion.
C’est un roman en six tableaux publié en 1891 dans « l’écho de Paris » en feuilleton et adapté plus tard au Théâtre et au cinéma. C’est une chronique qui a pour décor le Ministère de l’Intérieur où le jeune Lahrier est employé en qualité d’expéditionnaire. Il est habitué à un absentéisme chronique et, pour une fois qu’il était présent à son bureau est surpris par son chef en train de lutiner sa maîtresse au point que ce dernier lui demande si la Direction des Dons et Legs où il est affecté est une administration ou une maison de tolérance.
Dans cet ouvrage qui fit le succès de Courteline, on assiste aux errements bureaucratiques sans grands intérêt qui suscitent cependant des polémiques inutiles de la part d’hommes de deux génération différentes qui cohabitent, jaloux les uns des autres, prompts à créer entre eux des polémiques, on rencontre tout un panel de personnages égarés dans la Fonction Publique, des farfelus, des envieux, des frustrés, des paresseux, des érudits, des ignares, des amateurs beaucoup plus attachés à autre chose qu’à un travail pour lequel ils sont pourtant payés. Au-delà des faits rapportés dans cet ouvrage qui ne manque pas d’humour bien qu’il se termine par l’élimination physique d’un membre de la hiérarchie, ce qui n’est pas commun, c’est aussi l’occasion de déclarer sur son cercueil des mots de reconnaissance qu’on se garda bien de prononcer de son vivant, où la mauvaise foi le dispute à l’euphémisme. Ce que je retiens, c’est surtout l’étude de cette faune de bureau, autant dire de l’espèce humaine en générale, cette ambiance délétère du monde du travail où chacun s’attache à se faire valoir en en faisant le moins possible tout en dénigrant le travail de ses collègues, en agissant parfois avec un zèle qui n’a d’égal que la volonté de tresser entre eux des inimitiés durables, beaucoup plus fortes que les pseudo attachements publiquement proclamés, la recherche de l’avancement, des honneurs, des privilèges, de n’importe quelle forme de reconnaissance qui flattera leur ego et les distinguera des autres. Pour cela on ne négligera ni l’obséquiosité, ni la flagornerie, ni la délation, ni le clabaudage, ni les chicaneries, ni la mauvaise foi voire le mensonge pourvu qu’on arrive à ses fins et si à l’occasion on peut écraser quelqu’un, lui porter un préjudice durable, on n’en sera que plus satisfait. Dès lors, faire son travail n’est assurément pas une assurance de promotion qu’on réservera de préférence aux incompétents. J’y vois, malgré le comique de situation savamment construit, une évocation du « mille-feuilles administratif » et de sa gabegie si souvent dénoncés par les politiques mais jamais vraiment réformés mais aussi une pertinente étude bien actuelle.qui ne se limite pas pour autant à la Fonction Publique, même si les administrations et leurs agents sont souvent la cible privilégiée des polémistes. Karl Huysmans, fonctionnaire lui-même, qui ne passait pourtant pas pour un comique, s’était déjà livré à ce genre de littérature dans une courte nouvelle légèrement antérieure, intitulée « La retraite de Monsieur Bougran » où il raillait non les hommes mais surtout les errements administratifs et les différentes façons réglementaires de rédiger courrier et notes de service, mais cette œuvre, refusée par les éditeurs en son temps, est longtemps restée inconnue..
J’ai également goûté le verbe de Courteline, la rédaction gourmande des descriptions et des évocations d’un auteur qui n’eut qu’à puiser dans son expérience personnelle de fonctionnaire.
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