Entre les murs
- Par hervegautier
- Le 01/05/2024
- Dans Laurent Cantet
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N°314 – Septembre 2008
ENTRE LES MURS – Un film de Laurent CANTET [Palme d'or Cannes 2008].
Il est de la “Palme d'or” comme du “Prix Goncourt”, on parle de l'œuvre qui est couronnée et elle fait débat! C'est d'ailleurs heureux puisque, pour un créateur, rien n'est pire que l'indifférence. Ici, c'est carrément une polémique que suscite ce film et on oscille entre des extrêmes, soit on est laudatif voire inconditionnel, soit les critiques pleuvent...
A s'en tenir au film, qu'en ai-je retenu? D'abord le décor : une classe de 4° dans un collège de ZEP d'une banlieue difficile où un professeur de Français peine à faire son véritable métier, celui d'enseigner notre langue, de provoquer les réactions constructives de ses élèves, de leur donner l'occasion de s'exprimer sur le programme scolaire mais aussi sur la langue, la littérature, la syntaxe, le vocabulaire...
Premier constat : Le message ne passe pas et le malheureux enseignant à qui on demande de nombreux diplômes pour être nommé à ce poste a du mal à se faire entendre de ses élèves et en est réduit à faire de la discipline dans sa classe, pour la simple raison qu'il n'y règne pas l'ordre et le silence nécessaires à la transmission du savoir. C'est aussi un paradoxe, ce professeur souhaiterait évidemment plus de sérénité dans son cours, même s'il a été, quelques années avant, un étudiant un peu indiscipliné, voire chahuteur, dans les amplis de la faculté! Cela est souligné par le personnage d'Esméralda, volontiers frondeuse et irrévérencieuse... qui veut plus tard être policière, sans doute par amour de cet ordre qu'elle contribue largement à perturber dans ce microcosme!
Deuxième constat : Les élèves veulent rester dans le système scolaire, même si, d'évidence, il ne leur sert à rien: témoin cette jeune fille au début du film qui ne veut pas être dirigée sur le “secteur professionnel” alors que son avenir est plus sûrement dans ce domaine que dans le milieu scolaire traditionnel d'où elle sortira sans diplôme et donc sans perspective. Cette classe étant composée majoritairement d'enfants d'immigrés, on comprend bien que l'école, qui devrait être regardée comme une chance d'intégration est en réalité une voie de garage. S'ils en sont exclus, ce sera aussi l'expulsion administrative du territoire avec toutes les conséquences qu'on peut imaginer. Dès lors, l'école apparaît comme un moyen des plus artificiels de maintenir un fragile équilibre que les élèves eux-mêmes, en dépit de leur intérêt, ne font rien pour entretenir.
Troisième constat : Les enseignants de ce collège sont conscients de cela, témoin ce professeur de mathématiques qui, en se présentant à ses collègues, se déclare “prof de tables de multiplications”! C'est assez dire le niveau de cette 4° où, d'évidence, les acquis des années antérieures sont nuls! D'ailleurs, on n'entend jamais François Marin parler de littérature, ce qu'il devrait quand même faire! Chacun de ses cours n'est qu'un long et pénible débat, par ailleurs oiseux et sans méthode, avec ses élèves, sur tout et n'importe quoi... Et on se demande bien ce qu'ils peuvent en retirer.
Quatrième constat : L'organisation d'une société à laquelle l'école est censée préparer inclut l'ordre. Le professeur devrait incarner l'autorité et, à l'évidence, ne le fait pas puisque non seulement il accepte, au nom sans doute de la dialectique, un dialogue qui se révèle stérile avec des élèves inconsistants dont on comprend vite qu'ils sont ici pour passer le temps, mais surtout perd son sang-froid et se met lui-même dans une position difficile à tenir. Le spectateur sent bien que l'autorité dont est censé être revêtu le chef d'établissement, et à travers lui l'école, ne peut rien face à la mauvaise volonté des élèves. La décision du Conseil de discipline prononçant l'exclusion de Souleymane est révélatrice. Il sera expulsé de France [on devine son avenir] et paiera seul ce qui n'était qu'un dérapage partagé né de l'insolence constante de cette classe, mais aussi du manque d'autorité du professeur. [Le spectateur aurait sans doute espéré davantage de mansuétude dans le prononcé de cette sanction!]
Cinquième constat : Ce film montre bien bien que ceux qui sont irrévérencieux sont noirs ou d'origine maghrébine, les blancs et les jaunes méritent félicitations et encouragements, ce qui correspond bien à l'image [malheureuse] de notre société multiraciale pour laquelle l'école veut être une chance d'intégration, ce qu'en réalité elle est rarement! C'est la mère de Souleymane qui présente, dans sa langue, ses excuses personnelles au nom de son fils pour éviter l'exclusion que celui-ci semble maintenant accepter comme une fatalité. Double constat d'échec en matière d'éducation, celui de l'école certes, mais aussi celui de la cellule familiale.
Sixième constat : la faillite de l'école mise en évidence par les dernières secondes du film. Cette séquence pose question. Une élève qu'on n'a pas vue pendant le long métrage, c'est à dire qu'elle ne s'est signalée ni par son insolence ni par son assiduité, vient avouer simplement “qu'elle n'a rien appris pendant l'année”! On suppose qu'elle s'est également ennuyée dans les classes précédentes. C'est là un constat des plus alarmants remettant en cause le fondement même de l'enseignement et, au-delà, de notre société.
Septième constant : à mon avis, le rôle d'un professeur de Français, surtout en 4°, est de donner envie à ses élèves de lire. Cela ne me semble pas évident au vu de ce film, nonobstant l'épisode du journal d'Anne Frank. Je voudrais cependant souligner que l'allusion d'Esméralda à “La République” de Platon, qu'elle dit avoir lu avec intérêt me semble un peu artificiel face à l'image qu'elle a donné d'elle. Soit c'est faux et c'est dommage, soit c'est vrai et François Begaudeau, l'auteur du roman qui a servi de prétexte à ce film, n'a plus qu'à changer de métier, ce que je crois, il a fait.
J'observe enfin qu'un débat s'instaure entre les élèves sur la nationalité française et qu'Esméralda déclare n'être pas fière d'être française. Pourtant, j'imagine que ses parents, eux, ont beaucoup souffert pour cela et ne doivent pas renier leur choix!
Un film est une œuvre d'art. Le rôle d'un artiste n'est pas seulement de créer, c'est à dire de réaliser une fiction, c'est aussi de porter témoignage de son temps. De ce point de vue, Laurent Cantet remplit son rôle, d'autres cinéastes l'ont fait également avec talent, même si ce témoignage est nécessairement partiel, voire partisan. En tout cas, son film ne laisse pas indifférent. C'est là un documentaire plus qu'une œuvre de création, mais je continue de penser et même d'espérer que l'école reste globalement un moyen d'éducation, voire d'intégration et un des fondements de notre société.
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