Vous parler de mon fils
- Par ervian
- Le 09/08/2025
- Dans Philippe Besson
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N° 2001 – Août 2025.
Vous parler de mon fils - Philippe Besson – Juillard
Avec ce roman, Philippe Besson choisit de ne pas nous parler de lui, non que le sujet soit inintéressante, tant s’en faut, mais il s’attaque à un fléau très actuel et d’autant plus pervers que les réseaux sociaux lui donnent à la fois de l’ampleur et une malheureuse audience. Il s‘agit du harcèlement qui, même s’il a toujours existé et a détruit bien des vies, prend actuellement une dimension à la fois inquiétante et assez impossible à maîtriser et s’attaque de plus en plus aux plus jeunes, c’est à dire à ceux qui ont du mal à se défendre tout seuls. C’est d’autant plus vrai que la famille, considérée depuis longtemps comme un pilier stable de la société, devient de plus en plus un décor confié à la seule responsabilité de femmes, pas vraiment les mieux loties dans le monde du travail. Ici, ce n’est pas le cas puisque il s’agit d’une famille de la classe moyenne de Saint-Nazaire pour qui la vie s’écoulait sans histoire jusqu’à ce que Hugo ,14 ans, fasse l’objet, de la part de petits caïds de son collège, de harcèlements qui, malgré les tentatives de ses parents pour les faire cesser, le conduisent au suicide avec évidemment un dépôt de plainte contre les responsables, avec un procès à venir. C’est son père qui prend la parole pour évoquer ces tristes faits.
C’est une évidence, les adolescents en apprennent plus sur ‘l’espèce humaine dans les cours de récréation que dans les manuels scolaires. C’est un avant-goût de ce qui les attend dans la vraie vie, celle d’après, où ils seront également victimes des autres ou seront eux-mêmes des bourreaux. Le « vivre ensemble » dont on nous rebat les oreilles, dans une société qui de plus en plus perd ses repères traditionnels, en prend quand même un sacré coup.
La mort brutale d’un enfant est l’occasion pour ce père de prendre conscience qu’il n’a pas toujours été à la hauteur de sa tâche d’éducateur, même si ce rôle de parent est toujours difficile parce qu’aujourd’hui, en une génération, les choses changent vite et qu’on est facilement dépassé voire débordé au point que son propre enfant devient parfois un étranger et qu’évidemment on culpabilise pour cela.
Hugo est mort, suicidé, victime de harcèlements de garçons qui se croyaient tout permis et pour ceux qui restent et spécialement pour ses parents, c’est le début d’une épreuve dont ils ne se relèveront pas et d’une douleur que ni les psychiatres ni la phraséologie religieuse ne seront capables exorciser ou d’adoucir. Devant elle on peut dire ce que l’on veut, que le temps adoucit tout, qu’il faut continuer à vivre, que la vie est une épreuve, tout cela est vain parce qu’avec cette mort quelque chose s’est brisé définitivement et qu’ils n’ont rien vu venir, avec la culpabilité, le chagrin, la colère contre la malchance, le destin, Dieu s’il existe, parce que tout ce qu’ils ont fait pour Hugo, pour son éducation, devient dérisoire, inutile et qu’on ne met pas des enfants au monde pour aller à leur enterrement. Après cela on peut convoquer les souvenirs, se dire qu’on n’a pas été assez à l’écoute, devenir fatalistes face à l’absent, se jeter dans le travail ou dans une activité caritative, se torturer l’esprit pour savoir ce qu’on a fait pour mériter une telle épreuve, organiser des marches blanches pour la mémoire et pour que cela ne se reproduise plus, tout cela ne sert à rien et on finit par attendre sa propre mort comme une délivrance. Il leur faudra faire face seuls à la gêne des autres qui s’éclipseront à leur passage, à l’amnésie qui est le propre de la nature humaine, à sa propre révolte contre cette injustice mais aussi affronter un procès qui mettra en évidence l’hypocrisie de l’État, les mouvements d’opinion déstabilisants, la malveillance des journalistes, les démonstrations culpabilisantes des avocats, une justice parfois trop laxiste, la pensée obsédante que malgré tout les responsables sont en vie et son son enfant est mort par leur faute … Encore d’autres épreuves ! Le couple n’en sortira pas indemne comme ici puisque les parents d’Hugo restent ensemble mais ils vont trembler pour Enzo, leur autre fils devenu l’enfant unique qui ne manquera pas d’être tourmenté par l’exemple et l’absence de son frère , parce que, malgré tout, la vie continue.
A mes yeux, le rôle de l’écrivain est d’être de son temps et donc d’en refléter la réalité même s’il doit en dénoncer les travers. Même si ce n’est pas la première fois que notre auteur choisit de parler de la mort, même si le thème évoqué est révoltant, j’ai eu plaisir à le lire parce que sa phrase est toujours aussi limpide avec ici une dimension particulièrement émouvante. .
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