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la feuille volante

Une main encombrante

N° 1430 - Février 2020.

 

Une main encombrante Henning Mankell – Éditions du Seuil.

Traduit du suédois par Anna Gibson.

 

Il est plutôt chanceux l’inspecteur Kurt Wallander. En ce mois d’octobre 2002, il vient de trouver ce dont i rêve depuis longtemps, lui qui voulait quitter son appartement d’Ystad pour vivre à la campagne, avec Linda sa fille qui travaille avec lui au commissariat et avec un chien, un avant-goût de la retraite en quelque sorte. Ça tombe plutôt bien puisqu’il est vraiment lessivé et même un peu désabusé par son métier, par la vie en général, sauf que la réalité va être un peu différente. En explorant le jardin de cette propriété qui lui plaît bien, il tombe sur les os d’une main, et donc sur une enquête. Au bout de la main il y a évidemment un squelette dont l’état laisse à penser que les investigations vont être difficiles à cause de la mort qui remonte au siècle dernier, de la charge de travail qui augmente pour des enquêteurs de moins en moins nombreux et par-dessus tout cela la presse qui s’en mêle et qu’un autre squelette est découvert.

 

J’ai retrouvé avec plaisir le personnage de Wallander et l’ambiance de cette courte enquête qui nous fait remonter le temps et qui insiste sur son état d’esprit et ses aspirations. Selon l’auteur, ce serait la dernière de l’inspecteur, fatigué, désireux de se retirer... Mais aussi pour l’auteur cette volonté de passer à autre chose, de l’abandonner à la vieillesse, à une sorte de néant ! On sent que Mankell lui aussi est sans doute gagné par la nostalgie. Les investigations sont quelque peu hésitantes mais mon attention a été attirée par les dernières pages consacrées par l’auteur aux rapports qu’il entretenait avec Wallander, c’est à dire les relations créateur-créature. Il nous parle de la « naissance » de son personnage, de l’origine de son nom, de son diabète, de sa solitude dans l’attente d’une hypothétique compagne, de son côté désabusé... Mankell aborde la question d’une manière originale se demandant si Wallender lisait les mêmes livres que lui. Et lui de répondre, à sa place, en précisant que Kurt n’était sans doute pas un grand lecteur, avec peut-être un faible pour Sherlock Holmes ! Puis il passe à autre chose. Mais là, je suis resté un peu sur ma faim. Le personnage de roman vit en effet, certes par intermittence, mais néanmoins une existence quasi réelle puisque, en Suède, il est souvent arrivé qu’on interpelle Mankell dans la rue... en lui demandant des nouvelles de Wallander ! J’aurais bien voulu le voir développer les rapports qu’entretient, à l’intérieur de l’intrigue, l’écrivain qui tient la plume et reste, en principe, maître du jeu avec le personnage qui lui obéit mais souvent, au fils des pages, entend bien imposer sa manière de vivre les événements et de faire valoir sa liberté individuelle. Ce concept qui peut paraître anodin voire inutile m’a toujours fasciné et n‘est pas, à mon avis, un simple exercice de style mais fait partie intégrante du processus créatif. Laisser au personnage son libre arbitre, se laisser porter par lui au point de modifier son idée de départ est pour l’écrivain une façon de s’effacer devant sa création.

 

Henning Mankell est mort en 2015. A ma connaissance, il n’a pas renouvelé ce genre d’explications, passionnantes pour moi.

 

 

©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

 

 
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