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la feuille volante

Le ventre des hommes

N°1576 - Août 2021

 

Le ventre des hommes – Samira El Ayachi – L’Aube .

 

Tout d’abord je remercie les éditions d’Aube et Babelio qui m’ont permis de découvrir ce roman.

Le père d’Hannah est une gueule noire, un mineur de fond, un arabe arraché au Maroc pour venir dans le Nord de la France comme les Italiens des Portugais, les Polonais… Avec sa nombreuse famille il vit dans un baraquement sans confort et pour cette fillette la venue du marchand de glace est une petite joie furtive. Puis ce père prend de l’importance, lui qui était chef de village au pays devient ici quasiment imam grâce à sa connaissance du Coran, flirte avec le radicalisme religieux, déménage de son baraquement provisoire dans un vraie maison de coron. Plus tard, il prendra la tête de la contestation syndicale grâce à sa connaissance du français. Avec cette petite fille qui grandit, découvre en les enviant la peau blanche des filles et leur cheveux d’or, le lecteur navigue entre l’enfance magique, l’adolescence difficile sous l’œil d’un père de plus en plus lointain et la transparence de la mère, l’âge adulte, toute une transformation dans le corps et dans l’esprit de cette jeune fille entre deux mondes qui s’opposent et la guerre qui gronde, loin, deux pays, deux cultures, avec télévision et réseaux sociaux, tradition et modernité d’une société qui change vite et des parents qui ne suivent pas forcément. Elle découvre la lecture, la philosophie, les réponses à ses questions … Dans ce contexte de vie, la littérature c’est Zola et Germinal. Les études supérieures sont pour elle une libération autant qu’une révélation de la différence entre les gens mais elle reste pauvre, une fille d’ouvrier, immigrée de surcroît. Ainsi, elle voit bien l’envers de la scène où tout se déroule que les valeurs proclamées qui caractérisent la France ne sont souvent qu’un décor, que l’ascenseur social dont on parle tant ne fonctionne pas forcément, que les dés sont souvent pipés. Elle sera pourtant professeur de Français.

C’est un témoignage qui nous rappelle, et ce n’est sans doute pas inutile, que la France est, depuis toujours, un pays d’immigration, un creuset qui accueille tous ceux qui veulent y venir pour participer à sa construction et profiter de sa protection sans distinction de race ni de culture. Il faut aussi dire que la France n’a jamais bien accueilli ceux qu’elle a fait venir pour l’enrichir et faire un travail que les nationaux refusaient d’accomplir. Les italiens étaient des Ritals, les Polonais des Polaks, les algériens des bicots qu’elle les a exploités en oubliant souvent les droits qu’elle donnaient aux travailleurs nationaux, alors que dire des Marocains, souvent illettrés qui traditionnellement venaient de contrées anciennement colonisées. Le parcours du père est là pour attester cette vérité, il parle du dur travail de la mine, de l’obsession du noir, de la peur de la mort...sauf que lui il parle et lit le français, réagit face aux injustices faites au travailleurs marocains à qui on refuse un statut qu’on accorde aux autres immigrés. Eux pourront rester en France s’ils le désirent mais à ces Marocains on ne propose que des contrats temporaires pas toujours renouvelables, on leur parle de la fermeture des mines et d’une aide dérisoire au retour alors que leur vie est définitivement ici, avec leur famille, après toutes ces années de travail et qu’on compte sur eux, sur leurs mandats réguliers qui font vivre tout un village. La réalité s’impose à lui, ils ont été constamment surveillés par les autorités, ils ont été floués, pressurés, trahis. Face à cette réalité et à cette injustice, il n’y a que la lutte syndicale que Mohamed fait sienne, comme un combat personnel, organise la révolte, se fait le porte-parole de ces travailleurs oubliés jusque devant les caméras de télévision et dans la presse pour donner de la publicité au mouvement. Certes ils sont soutenus par d’autres ouvriers face aux autorités mais ils n’ont plus de salaire, plus rien dans le ventre.

Dans une seconde partie, plus courte que la première, Hannah, professeur de Français n’a pas le même conception de l’école que son ami, également professeur. Ses doutes sont si bien établis et la pression si importante qu’elle devient professeur des écoles et, à l’occasion d’un exercice antiterroriste qu’elle prend trop à cœur, elle se retrouve dans un commissariat avec menottes et garde à vue. Ses origines arabes donnent à penser qu’elle a de l’empathie avec les terroristes. Cela génère un vide en elle, le même qu’a dû connaître son père face aux Houillères. Il a pris la parole face au patronat et à ses règles. Vouloir les transgresser fait naître un vide

 

J’ai lu ce roman comme une révolte contre les systèmes. Celle de son père d’abord contre les Houllières qui ont fait ces Marocains des esclaves de la mine. Parce qu’il était plus évolué que les autres, Mohamed choisi de s’opposer aux autorités, celle ensuite d’Hannah, professeur de français puis professeur des écoles, contre le système scolaire. Cela se manifeste à propos d’un exercice antiterroriste qu’elle a interprété abusivement à sa manière et qui s’est retourné contre elle. Chacun d’eux fait de ce combat une affaire personnelle. Son père avait eu le courage de prendre la parole, de « demander ses droits à la France » et pour cela a eu avec lui les autres mineurs. Au contraire Hannah, parce qu’elle n’a pas eu le courage de prendre la parole, est bien seule, son ami la quitte face aux attentats terroristes et son attitude au regard des obligations de le Fonction Publique, son devoir d’obéissance, de réserve, la fait arrêter et elle se retrouve au commissariat. L’officier de police qui est chargé de l’interroger semble même éprouver de l’empathie pour elle, mais choisit quand même de faire son métier sans états d’âme. Il y a pourtant une différence entre le père et la fille même si elle pense de bonne foi marcher sur ses traces. Hannah est une intellectuelle et à ce titre sa référence ce sont les livres qui, selon son propre aveu, dénaturent le vrai sens de la vie et correspondent à un danger dans la mesure où ils déforment la réalité. Mohamed au contraire était un simple ouvrier et avait pris son quotidien de labeur à bras le corps et avait décidé de réagir. Sa révolte me paraît de bon aloi, légitime, même si elle est par avance vouée à l’échec, à moins que l’État ne la pousse dehors. De ces deux moments, si j’ai adhéré au combat pour la dignité et pour les droits de Mohamed, j’ai, en revanche eu un peu de mal à suivre Hannah dans son combat personnel contre l’institution qui l’employait simplement parce qu’elle ne correspondait pas à ses vues. Les attentats ont été un traumatisme, la société a perdu ses boussoles traditionnelles, les religions ne remplissent plus leur rôle apaisant. Les propos d’Hannah sont à la fois désabusés face au spectacle du monde et pleins d’admiration pour son père, cet homme qui pourtant va mourir.

 

La lecture n’en est pas facilitée par l’alternance des propos, des remarques et des souvenirs du père et de ceux de sa fille. Ce que je retiens c’est la lutte de cet homme menée contre les autorités, leur duplicité et leur trahison au dépend de petites gens qui vont mourir d’avoir tant travaillé. C’est une habitude au pays des droits de l’homme, celui des Lumières, d’agir ainsi, comme on sacrifia les harkis après la guerre d’Algérie.

 

 

 

 

 

 
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