la feuille volante

Le collectionneur de sons et autres nouvelles

 

 

N° 1467 Mai 2020.

 

Anton Holban – Le collectionneur de sons et autres nouvelles.

 

Tout d’abord merci a Tandarica qui m’a permis de rencontrer Anton Holban (1902-1937), cet écrivain roumain mort à 34 ans dont les œuvres ont été publiées à titre posthume et dont elle est la traductrice.

 

Découvrir un écrivain, surtout s’il est étranger, est toujours pour moi un événement, même à travers une seule œuvre. Le livre refermé il me reste de cet homme l’impression d’un écorché-vif, qui n’a pas trouvé sa place dans ce monde et qui s’est réfugié dans l’écriture et dans son pouvoir cathartique. Son oncle, Eugène Lovinescu qui était aussi un célèbre critique littéraire roumain de l’entre-deux guerres le considérait comme atteint de névrose. L’écriture d’Holban se caractérise par la pratique de l’autofiction qui consiste à mêler l’imaginaire à des événements de sa propre vie, comme l’ont fait Proust ou Colette, sans pour autant tomber dans l’autobiographie. Ce concept est récent et il m’a toujours paru évident qu’un écrivain, même s’il choisit l’imaginaire le plus effréné, projette toujours dans son texte un peu de sa propre personnalité, de ses fantasmes et de ses obsessions, voire de son inconscient et ce même dans l’évocation de personnages secondaires. En effet il parle souvent de lui, de ses goûts et de ses passions, de sa carrière de professeur (« Glorieuse journée à Cernica »), de ses voyages, de ses études ou de ses grands-parents et même s’il met en scène un tiers, par exemple Sandu dans « Le collectionneur de sons », c’est de sa vie dont il parle. Quand il mêle l’imaginaire à des souvenirs de voyage, comme dans « Châteaux sur le sable », des éléments de sa propre vie et de sa personnalité sont sous-jacents. Cela lui a même valu d’être considéré comme dépourvu d’imagination au point que certains de ses collègues se sont reconnus dans ses romans. Je notre cependant qu’il peine un peu à imaginer les années de maturité que vivront pour les jeunes filles croisées dans sa vie.

Holban est notamment un explorateur de la mémoire, un peu à la manière de Proust et ce n’est sans doute pas un hasard s’il a emprunté le titre d’une de ses nouvelles à l’auteur français (« A l’ombre des jeunes filles en fleurs »). Dans cette nouvelle il se souvient qu’il a été professeur et se livre à une explication d’Andromaque de Racine, avec de nombreuses citations en français, en souvenir de son séjour dans notre pays, mais il s’adresse surtout à des jeunes filles. Pourtant, une autre caractéristique de cet écrivain tourmenté me paraît être la timidité, surtout vis à vis des femmes. Dans « Petite aventure sur une interminable plateforme »le narrateur raconte sa rencontre dans un train bondé d’étudiants en état d’ébriété avec une jeune japonaise réservée. Cela m’évoque le merveilleux poème d’Antoine Pol, « Les passantes » chanté par Georges Brassens avec cette silhouette furtive de femme qui s’évanouit. De femme Japonaise, (est-ce un fantasme personnel de l’auteur?) il sera encore question dans « Châteaux sur le sable » où un voyageur, Paul, accompagne Mitsuko lors d’un voyage en Égypte avec un groupe de touristes. Leurs relations va de la complicité amicale mais réservée de la part de le jeune femme aux discussions houleuses et à une certaine goujaterie de Paul, sans doute à cause du bousculement de ses obsession secrètes. L’épilogue lui donne une sorte de claque. De jeune fille il est encore question dans « Antonia », une jeune musicienne russe qui ne cache pas son attirance pour le narrateur, un jeune lycéen roumain qui, bien entendu est amoureux d’elle. Son attitude à elle est ambiguë et lui se comporte d’une manière jalouse et embarrassée au point de l’imaginer, de nombreuses années après, parce qu’évidemment il ne l’a pas oubliée. Pourtant ses relations avec les jeunes filles ou les femmes semblent être entachées d’impossibilité et de remords, un peu à l’image de son mariage, d’ailleurs bref et probablement malheureux.

La musique tient une grande place dans la créativité d’Holban. Il y fait souvent des allusions précises dans nombre de ces nouvelles et mêmes des références nombreuses (« Le collectionneur de sons ») et montre une véritable addiction pour cet art. Avec « Le tarin et son maître », il nous parle d’un oiseau prénommé Boris qui a une préférence pour le violon et une œuvre d’un compositeur français admirée par Debussy ! C’est aussi l’occasion pour le lecteur de partager la culture musicale de l’auteur. Cependant son idée maîtresse qui revient sans cesse comme une obsession, c’est la mort. Elle plane sur l’ensemble de ce recueil au point d’être un leitmotiv prégnant. Nous sommes tous mortels mais dans nos sociétés occidentales nous vivons comme si nous ignorions cette échéance. Holban au contraire la rappelle constamment comme s’il savait que pour lui le parcours serait bref. Il l’évoque à travers son aïeule (« Grand-mère se prépare à mourir ») mais également il est souvent question de la mort de ses personnages. Je me suis toujours demandé si les êtres qui sont destinés à mourir jeunes n’en ont pas l’intuition et s’y préparent. Lui-même s’inquiète du devenir de sa collection de disques après sa mort. Dans « Hallucination» il met en scène son propre enterrement avec cette interrogation.

Une belle découverte en tout cas.

©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite

 

 

 

et qui rend les rues petit à petit un peu moins bleues.

 
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