OÙ EN ÉTAIS-JE ? - Philippe BEAUSSANT
- Par hervegautier
- Le 20/05/2009
- Dans Philippe BEAUSSANT
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N°339– Mai 2009
OÙ EN ÉTAIS-JE ? – Philippe BEAUSSANT - FAYARD.
Quand on fait la présentation d'un roman, il est d'usage d'en dévoiler [un peu] l'intrigue. Ici ce n'est pas facile puisqu'il l'y en a pas, enfin presque.
L'auteur raconte certes une histoire, regarde par sa fenêtre, dit ce qu'il voit, écoute son imagination et laisse aller sa main sur la feuille blanche. C'est pour lui l'occasion de prendre son lecteur à témoin pour lui expliquer sa démarche d'écriture, le départ de l'inspiration qu'il faut écouter et qui intervient quand on s'y attend le moins, comment tout cela naît, si cela se fait tout seul ou non [« Voilà, cher lecteur, comment peut naître un roman, une phrase suffit »], le plaisir qu'il éprouve à cet exercice, avec le choix gourmand qu'il fait des mots, justes et sonnant bien, de l'architecture des phrases, pour que le témoin des scènes rapportées les voit et devienne au moins un spectateur et peut-être son complice, parce que notre langue française est belle et qu'il faut l'utiliser correctement... Il indique que tout cela n'est pas quelque chose de facile, qu'écrire c'est un peu se soumettre à cette dictature des mots [qu'on ne s'y trompe pas, il est bien ce « tâcheron de la plume »], parce qu'il faut être disponible, attentif à tout, capable de se laisser entraîner dans d'improbables contrées à l'invite de son imagination.
Il rend compte de ce qu'il voit, les lieux et les personnages, les sensations, mais aussitôt, sa culture, son érudition prennent en quelque sorte, le relais malgré lui, lui soufflent d'autres situations, d'autres figures venues d'autres romans ou de tableaux. Alors, puisqu'il a décidé de se laisser embarqué dans une folle équipée, il mélange tout, les paysages, les époques, et convie le lecteur dans sa démarche intime, et un geste banal devient aussitôt un invitation au voyage dans le temps, dans l'espace!
Les hommes et les femmes du quotidien, ceux qu'il voit de cette fenêtre, qui ont les deux pieds sur cette terre d'aujourd'hui, et même parfois dedans, qui s'agitent et qui parlent à leur manière, il les transposent sous Louis XIV, invente des dialogues précieux, une transaction un peu surréaliste, une histoire de fontaine et de roi qui veut, seul, en boire l'eau, y glisse les fantasmes que peut susciter une jolie voisine ou se fait le témoin privilégié de la tournée journalière de la boulangère ou de l'arrivée, plus impromptue et fugace, de l'héritier d'un immeuble vacant depuis longtemps... Bref, il met tout ce petit monde en scène, en perspective, comme on dit, il lui insuffle la vie, lui prête des sentiments, des défauts, des qualités ou plus exactement le laisse vivre, former des projets, parce que, maintenant, tous sont autonomes et échappent complètement à leur créateur qui se contente de les regarder... M. Mitard, M. Boussard, Mlle Leroux, habitants de ce petit village, deviennent des acteurs de cette fiction intime qui est partie d'un écrivain qui voudrait bien qu'on le laisse tranquille quand il se met au travail, qui est assis face à sa fenêtre, devant sa feuille blanche, dans ce petit village de nulle part, avec devant lui quatre maisons et , plus loin, la route de Provins, de Château-Thierry...
Alors oui, parfois il y revient dans ce décor, fait un peu le point, comme lorsqu'on sort d'un rêve et qu'on tente de faire la part de la réalité et du songe et qu'il se demande si tout cela est vrai. Mais c'est qu'il n'est plus seul comme devant sa feuille, il a avec lui son lecteur, parce que, bien sûr ce dernier, même s'il a été un peu décontenancé au départ, est devenu au fil des pages le témoin attentif de tout cela et s'est engagé dans ce voyage. Parfois, cette pause entraine l'auteur plus loin qu'il n'aurait voulu et un visage de femme croisé au hasard de la vie est à nouveau l'invite d'une création, parce que les yeux des femmes ont ce pouvoir de faire rêver. Les choses sont bien plus complexe, et cette Justine qu'il avait seulement imaginée, cette femme immatérielle, peut soudain prendre corps et exister réellement, devenir Claire!
Mais l'histoire déraille, [fiction ou réalité?] et il n'est plus question de ratiocinations sur l'écriture, sur l'architecture des phrases, le choix des mots, quand l'ordre immuable des choses qu'on avait imaginé est bouleversé et qu'on a le sentiment confus d'avoir tout deviné avant les autres.
L'écriture, ce n'est pas une sinécure mais on peut même dire que c'est une alchimie, et la question vaut bien d'être posée, au moins par l'auteur « Un romancier, est-ce qu'il invente ou est-ce qu'il raconte ? ».
Alors le lecteur attentif et complice peut, lui aussi, dire avec l'auteur« Où en étais-je? ».
© Hervé GAUTIER – Mai 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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