la feuille volante

DES GENS TRES BIEN

N°928– Juin 2015

 

DES GENS TRES BIEN - Alexandre Jardin - Grasset.

 

Est-il de secret mieux gardé qu'un secret de famille, un événement, une personnalité qui resteront inconnus des descendants au seul motif que de cela, au sein de la parentèle « on en parle pas » surtout si on doit rattacher tout cela aux heures sombres de notre histoire nationale ! Dès la première phrase il n'y a pas d’ambiguïtés « Mon grand-père, Jean Jardin, dit le Nain jaune, fut, du 20 avril 1942 au 30 octobre 1943, le principal collaborateur du plus collabo des hommes d’État français : Pierre ­Laval, chef du gouvernement du maréchal Pétain. Le matin de la rafle du Vél' d'Hiv, le 16 juillet 1942, il était donc son directeur de cabinet ; son double. Ses yeux, son flair, sa bouche, sa main. Pour ne pas dire sa conscience.» . Il y avait bien eu de la part de Pascal Jardin, le fils de Jean, une tentative d'éclaircissement et ce fut « La guerre à Neuf ans »(1971) qui fit un peu trembler son père. La publication du« Nain Jaune » (1978) donnait du même père un portrait plus édulcoré, accommodant et attachant, qui n'avait pas paru convaincant au petit-fils, Alexandre qui voit là un « tour de passe-passe insoutenable » et qui en remet une couche, pas vraiment dans le même sens. Malgré l'attachement qu'il a pour sa propre famille, Alexandre, apporte des précisions que l'auteur du « Nain Jaune » ne pouvait ignorer. Il prend peu à peu conscience de ces réalités, lui qui à quinze ans admirait aussi son grand-père sans rien connaître de son passé vichyssois. Taire de tels faits ne sert à rien sauf si ce mutisme qui ainsi perdure devient un poids trop lourd à porter. L'espèce humaine n'est pas composée que de brillants modèles et prendre le risque d'explorer son propre univers familial, de secouer l'arbre généalogique, expose à bien des désillusions. Quand il a choisi de parler de son père, Pascal Jardin dit « le Zubial », Alexandre l'a fait sur le registre du fils meurtri par la mort prématurée d'un être excentrique, solaire et dont il ne se remet pas. Pour Jean, le grand-père c'est autre chose. On n'est responsable que de soi-même et surtout pas de sa parentèle. Les frasques dont la famille Jardin fut familière, celles de sa grand-mère dite « l'Arquebuse », l'épouse de Jean, de son père et de sa mère ont été mises sur le compte d'un art de vivre plutôt marginal mais présentées par Alexandre sur le registre de la légèreté et de l'adultère. Cela il pouvait parfaitement l'accepter. En revanche, le parcours de Jean était nauséabond, homme de l'ombre et de la collaboration, celui de la rafle du Vel d'Hiv qu'il ne pouvait ignorer, et ce malgré la légende tissée par lui-même de son vivant. Cette rafle l'obsède tellement qu'il va jusqu'à mettre en garde son grand-père contre cette « fracture dans sa vie » dans une scène improbable et surréaliste. En écrivant ce livre l'auteur dit « vouloir purger son ADN », pour lui, pour ses enfants, cesser de vivre dans la cécité. Pourquoi pas après tout ? Mais est-ce bien certain puisqu'on camoufle souvent sous des motivations familiales feintes des préoccupations personnelles et on peut parfaitement imaginer que des familles qui portent un nom de « collabo » notoire souhaitent vivre normalement au nom de l'oubli et de la non-responsabilités des erreurs d'un aïeul. Personnellement, j'ai toujours combattu cette culpabilité qui veut qu'on batte sa coulpe au nom de je ne sais quelle pseudo-morale judéo-chrétienne et qu'on s'accuse de tout les malheurs, surtout quand on n'y est pour rien. Je ne perds pas de vue non plus que cette culpabilité affichée fait partie du discours convenu de tout héritier du catholicisme, même s'il n'en a pas conscience ou s'il le refuse.

 

Cette période de notre histoire, pas si lointaine d'ailleurs, a révélé des hommes peu scrupuleux qui, sans cela eussent connu l'anonymat. D'autre part le monde des hommes politiques, fait de tractations, de compromissions, de trahisons, des ces petits et grands arrangements avec la réalité et la vie, se conjugue assez mal avec la mémoire, se cache souvent sous la mauvaise foi, et sous la vérité « officielle », gravée dans le marbre et qu'il ne convient pas de bousculer. Non seulement Jean échappa adroitement à la purge de la Libération puisque, prudent, il avait eu soin d'expurger les archives du moindre bordereau portant sa signature, connut une carrière de financier occulte des partis politiques, droite et gauche confondues, de la IV° et de la V° Républiques mais mourut dans l'impunité en 1976, non sans avoir habillement préparé une éventuelle défense jusque dans les moindres détails. Elle ne servit cependant pas. Il ne fut pas le seul et ces « grands commis de l’État », ces Talleyrand, ces funambules qui en firent autant, eux qui eurent le talent et la chance de servir plusieurs régimes parce qu'on avait opportunément fait disparaître les archives et qu'on avait choisi de recouvrir certaines de leurs actions du voile d'un silence complice. Le livre révèle d'ailleurs des vérités connues depuis longtemps mais adroitement occultées, sur nombre d'hommes politiques célèbres et qui ont habillement survécu à cette page noire de notre histoire... et sont devenus des ministres gaullistes. Il était possible de soutenir que Jean Jardin ait été un fonctionnaire intègre et loyal au pouvoir politique, qu'il ne savait rien de la destination des trains de la mort non plus que du sort de ceux qui y étaient transportés, bref faisait partie des « gens très bien » de cette époque mais son poste de directeur de cabinet de l'omnipotent Laval ne peut soutenir cette affirmation. L'auteur conclut un peu malgré lui que, compte tenu des préoccupations quotidiennes et alimentaires d'alors, le rafle du Vel d'Hiv ait pu passer inaperçue. Il est vrai aussi que suivant l'époque, l'idée qu'on se fait du bien, même de parfaite bonne foi, est fluctuante et changeante en fonction des événements. Il note que l'entourage des gens qui ont connu cette « éminence grise » tentèrent, même longtemps après sa mort, de le dédouaner de l'antisémitisme de règle à l'époque, de présenter le nazisme comme un idéal auquel on pouvait adhérer sans avoir pour autant le sentiment du péché. En attaquant le grand-père, (« génétiquement catholique, il fut ce qu'on appelle une conscience dérangée par une morale exigeante »), qui n'était sans doute pas exempt de tout soupçon dans son passé vichyssois, et sans vouloir remettre en cause sa démarche courageuse, n'en fait-il un peu trop dans l'exploration de la boue fangeuse de sa généalogie ? C'est en tout cas courageux de faire une telle démarche forcément contestée dans son lignage. Éprouve-t-il un besoin de repentance très à la mode ou le rachat d'une part d’ombre qu'il ne pouvait garder pour lui ? Il est écrivain et, à ce titre on peut penser qu'il a trouvé là, sur le registre de « famille je vous hais » toujours payant, un thème récurrent et juteux. Il est en effet légitime d'avoir des comptes à régler avec sa propre famille, au moins le fait-il sans le masque du roman où s'agitent souvent des personnages cachés. Les mots sont son matériau et pour lui aussi l'écriture peut avoir un effet cathartique. Je ne suis pourtant pas fan des romans d'amour ni les fictions à l'eau de rose mais je ne déteste pas non plus l'authentique s'il est servi par le talent. Qu'il sorte d'un long déni familial ne me gène, au contraire ! Je suis donc prêt à suivre Alexandre Jardin sur ce terrain, lui qui portait sans doute ce passé comme un poids et le camouflait comme il le pouvait, confessant : « J'ai appris à paraître gai. A siffloter pour échapper au chagrin. Jusqu'à en écrire des romans gonflés d'optimisme ». J'ai peut-être tort mais je choisis de le créditer de la bonne foi. 

 

J'ai, depuis longtemps écrit dans cette chronique, le plaisir que j'ai à lire Alexandre Jardin pour sa verve, son humour, ses rodomontades, pour son talent d'écrivain. Il m'est arrivé cependant, n'ayant rien d'un thuriféraire, de mâtiner ces éloges à propos d'un de ses romans en particulier. La lecture de ce livre, même si elle m'a rendu un peu dubitatif, m'invite à découvrir une face caché de cet écrivain et sa démarche courageuse ne fera pas de moi un contempteur de plus dans la polémique qu'il a allumée. Après tout Alexandre Jardin a parfaitement le droit de changer de registre surtout si sa démarche lui permet de se libérer un peu du poids d'un passé peut-être trop lourd à porter. J'ai donc lu ce récit passionnant de bout en bout, le texte à au moins l'avantage d'être bien écrit même si le ton est forcément différent de celui des autres romans. Il m'a permis de connaître un peu mieux l’écrivain et de découvrir que toutes ces fanfaronnades cachaient en réalité quelqu'un d'angoissé par ce passé familial. Je n'ignore certes pas que c'est le propre du créateur artistique que de cacher sous des dehors différents ce qu'on ne veut pas voir ou pas avouer. Je le confesse bien volontiers que je n'avais pas saisi cela à la lecture du « Zèbre » que j'avais bien aimé, mais je lui sais quand même gré d'avoir en quelque sorte fendu l'armure et de faire acte, non de repentance(il n'y est pour rien) mais de vérité. Il tire d'ailleurs pour lui-même et pour son lecteur la leçon de ces « gens très bien », nazis, vichyssois qui se présentaient pourtant sous des dehors respectables que cachaient une réalité moins reluisante. Est-ce par hasard, par amour ou inconsciemment en réaction contre ce passé qu'il a choisi sa deuxième femme dont les origines ont quelques marques de judéité d'ailleurs contradictoires (« Les gènes d'une grand-mère dont les papiers d’identité affichaient le tampon rouge JUIF et ceux d'un père prénommé Philippe (comme Pétain) né en 1942 … à Vichy ») ? Il met aussi en garde contre l'islamisme qui actuellement mine nos sociétés occidentales, s'engage personnellement dans le monde associatif en prônant la lecture, ce qui est une autre manière de bousculer un peu les choses.

 

Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

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