la feuille volante

LE PETIT SAUVAGE – Alexandre Jardin - Gallimard.

 

 

N°145

Février 1993

 

 

LE PETIT SAUVAGE – Alexandre Jardin - Gallimard.

 

 

Retrouver son enfance dans le caquetage d’un perroquet, revenir vers elle, bousculer au passage tous les attributs et artifices de la vie d’un adulte et de la réussite sociale pour découvrir l’esprit, l’espièglerie, le merveilleux de cette enfance, voilà la démarche de ce «petit sauvage ».

 

J’avoue que l’entreprise m‘a un moment charmé et qu’elle était, tant par le style que par la conduite du récit une piste sur laquelle je souhaitais suivre cet ancien enfant qui reconstruisait, brique après brique cette période merveilleuse. Je l’y ai suivi jusqu’au bout …Le dédoublement de la personnalité du narrateur allait de soi «je résolus de réveiller le Petit Sauvage » déclare Alexandre Eiffel, et, pour cela, il entraîne avec lui non seulement l’enfant qu’il a été mais aussi les survivants de cette période bénie. A presque quarante ans, il voulait devenir digne du «petit Sauvage », mais aussi faire en sorte que les autres acteurs le soient de leur enfance, de leur jeunesse à eux.

 

Pour cela, rien ne manque, pas même le décor (La Mandragore, le Collège Mistral), les personnages (Tout-Mama, les Crusoé), les amours fantasques de Marie Tonnerre dont la fille sera, quelques années plus tard l’actrice attentive et passionnée. Pourtant, bien qu’il ait essayé d’entraîner tout le monde dans son sillage et que chacun se soit prit au jeu un moment, les gens qu’Alexandre invite dans sa ronde effrénée ont vieilli et en ont assez de jouer, soit qu’ils aient été happés par la vie, soit qu’ils aient été rattrapés par le temps. Ainsi, Alexandre Eiffel devient-il «le Petit Sauvage » et, gaucher comme au temps de son enfance, se retrouve-t-il seul dans une sorte de mysticisme, rencontre-t-il Dieu comme on le fait d’ordinaire quand on est face à soi-même !

 

Pourtant, cette folie tout entière contenue dans les paroles laconiques de perroquet de Lily, inlassablement répétées comme un avertissement ou un défi ne m’a pas apporté cette part de rêve qu’un livre doit impérativement prêter à son lecteur. Relisant mes notes et les articles parus dans cette chronique, je m’aperçois que j’avais été enthousiasmé par les trois premiers romans d’Alexandre Jardin. Ici, mon exaltation a été rapidement émoussée et s’est évanouie dans des rebondissements où l’invraisemblable le dispute aux longueurs. Je ne sais s’il s’agit d’une œuvre de fiction, mais le simple lecteur que je suis n’a pas ressenti, à l’occasion de ce roman, le même plaisir qu’avant. J’ai même éprouvé un certain agacement à divers aphorismes qu’on a du mal à imaginer sous sa plume !

 

Alexandre Jardin met en exergue une citation de Jean Anouilh. J’y préférerais volontiers une autre d’Albert Camus « Certes, c’est une grande folie, et presque toujours châtiée, de revenir sur les lieux de sa jeunesse et de vouloir revivre à quarante ans ce qu’on a aimé et dont on a fortement joui à vingt ».

 

 

 

© Hervé GAUTIER.

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