la feuille volante

Fanny Saintenoy

  • Les clés du couloir

    N°1818 – Janvier 2024.

     

    Les clés du couloir – Fanny Saintenoy – Arléa.

     

    Petra, traductrice hispanophone et poète, mère célibataire, amoureuse de la chanson française, de la littérature, de la vie, est incarcérée en France pour athéisme ce qui est considéré comme un vice, une folie, une révolte. Elle choisit de correspondre avec un homme qu’elle aperçoit depuis sa geôle, Omeg, un homosexuel juif, prisonnier lui aussi dans un autre pénitencier, considéré comme un dégénéré à cause de son orientation sexuelle et de sa religion. Elle fait transiter ses lettres par l’intermédiaire de Constance, une jeune novice, gardienne de sa cellule que cette relation avec Petra et à travers les mots perturbe durablement au point de se remettre en cause, de bousculer les règles de sa fonction et de son ordre, de douter de son engagement personnel et religieux. Elle prend conscience quelle devient détentrice d’un pouvoir, celui des mots, celui aussi de peser sur cette relation qui la dépasse. Elle rencontre la méfiance de sa hiérarchie et l’étonnant silence de Dieu.

    Le roman est en principe une fiction, c’est à dire une histoire qui doit tout à l’imagination de son auteur. Nous sommes en France, c’est à dire dans un pays heureusement laïc, à l’abri d’une religion d’État, où les cultes sont libres, où on peut croire ou ne pas croire à une divinité. Ce ne fut pas toujours le cas au cours de notre histoire et les appétits des religieux pour le pouvoir temporel, le rétablissement d’un ordre morale dans une société jugée dépravée et la mise en place de mesures coercitives, restent entiers. Cela se manifeste partout dans le monde et c’est bien souvent la source de conflits meurtriers, au nom notamment du prosélytisme, de l’oubli des principes fondateurs remplacés par des dogmes de circonstance alors qu’en principe les religions portent en elles un message de tolérance et d’amour. Actuellement le catholicisme est en régression eu égard aux exactions enfin révélées de son clergé mais le principe judéo-chrétien de culpabilité reste vivace et entretient un terrain favorable au retour à un ordre moral et au manichéisme.

    Soyons justes la tentation d’un petit nombre de peser sur une collectivité et de lui imposer ses vues ne se limite pas aux religions et vaut évidemment pour le pouvoir politique sous toutes ses formes. Il applique d’ailleurs les mêmes règles et plus ou moins les mêmes valeurs avec les mêmes actions coercitives de harcèlement, d’atteintes aux libertés, de répétition continuelle des mêmes choses souvent fausses, de séances de rééducation au nom et au service d’une idéologie totalitaire, c’est à dire de la domination de quelques-uns sur leurs semblables, la soif de pouvoir. Il tend à l’uniformité, un peu comme si l’individualisme, l’originalité étaient destinés à être constamment la victime de la pensée unique et que l’instinct grégaire devait prévaloir. Nous vivons une époque actuelle où les tentations sont grandes de recourir à la manipulation, la violence, la guerre pour obtenir l’anéantissement d‘une société et son remplacement par une autre. La tentation est toujours grande de marcher hypocritement dans ce jeu ridicule, de faire semblant.

    Ce roman épistolaire à trois personnages consacre la force des mots. Je l’’ai apprécié parce qu’il est bien écrit et d’une lecture facile mais également parce qu’il est le prétexte à une réflexion sur les choses de notre vie, de nos habitudes, de nos convictions souvent solides, une prise de conscience de réalités bien actuelles dans une période où le monde s’enflamme, où les hommes ont une furieuse envie d’en découdre dans une irrationnelle volonté d’autodestruction.