la feuille volante

Gwenael Le Guellec

  • Nous sommes la nuit

    N°1757– Juillet 2023

     

    Nous sommes la nuit – Gwenael Le Guellec - Éditions Prisma.

    Yoran Rosko, la quarantaine, photographe breton, s’est exilé au Japon pour se rapprocher de la belle Reiko dont il est follement amoureux. Il doit peut-être à une achromatopsie qui lui fait voir le monde en noir et blanc son attirance vers la nuit, les ruelles et les quartiers sombres. Sa participation à un « photo game », sa curiosité autant que le hasard le mettent en présence d’une photo de crime d’autant plus terrible que sa mise en scène est mystérieuse, fait appel à la culture spécifique nippone, aux rituels d’un autre âge et ne correspond pas vraiment à ce à quoi on pouvait s’attendre dans la chambre d’un « love hotel ». L’aspect énigmatique du cliché publié sur internet, sa possible signification ésotérique, l’incitent à en décrypter le sens artistique, les médias ayant surnommé les auteurs inconnus de ce meurtre les « Tueurs au tableau » puis les « Tueurs aux estampes », Japon oblige- parce que la scène évoquait une œuvre d’art. Ce meurtre sera suivi d’autres tout aussi mystérieux, toujours sur le même mode opératoire. Yoran n’est ni policier ni détective privé mais cette série d’exécutions et sa volonté d’en comprendre le sens, l’amènent, au cours de la poursuite de ces tueurs de l’ombre, à fréquenter le monde marginal de la nuit, d’y faire d’improbables rencontres, d’explorer autant la mythologie que l’art de vivre des Japonais, jusqu’à mettre sa vie en danger dans la touffeur de Tokyo. Sa quête peuplée de fantômes le mène dans d’autres contrées du Japon, en Italie et jusqu’en République Tchèque.

    Le hasard m’a fait lire ce roman au moment où les réseaux sociaux sont les vecteurs des violences qui gangrènent notre société au point de la déstabiliser d’une manière inattendue et surtout incompréhensible. Ils sont également présents dans ce livre où l’espèce humaine, dans tout ce qu’elle a de plus horrible, est mise en scène.

    Après « Armorican Spycho » (Prix du suspens 2019 et Prix du Goéland masqué 2020) puis « Exil pour l’enfer « , ce roman clôt sa trilogie armoricaine. Gwenael Le Guellec  poursuit les pérégrinations au Japon de son personnage favori que nous retrouverons sans doute plus tard avec le même plaisir . Ce n’est pas vraiment un roman policier au sens traditionnel du terme mais plutôt un « thriller-voyageur » à mi-chemin entre le roman noir et le thriller. Il y a donc des meurtres (spectaculaires) de l’argent, avec forcément des magouilles bancaires, du sexe, du sang, de la vengeance, des poursuites mouvementées. C’est le terreau traditionnel de ce genre littéraire qui exploite la face sombre de l’espèce humaine. L’auteur, au long de ces 500 pages, mêle modernité et tradition, avec de la musique en fond sonore, distille à la fois le suspense et l’intérêt de son lecteur par le mystère et le dépaysement qu’il lui procure. Il explore en effet, à l’occasion de ce qui ressemble à une véritable enquête, la géographie, l’histoire, le folklore et les légendes des lieux traversés qui évidemment recèlent en eux-mêmes des explications. La connaissance de la culture, du mode de vie et de l’esprit nippon, si différents de ceux de l’occident, la qualité de la documentation sont remarquables, notamment celle relative aux arts martiaux. Je retiens également, le livre refermé, une réflexion bienvenue sur la vanité des choses humaines suscitée par la phrase mise en exergue. Il procède par petites touches pour créer le climat délétère propre aux thrillers et y invite à la fin un chat qui vient ajouter son côté mystérieux. En outre, le style fluide et agréable à lire – tout particulièrement dans les descriptions- m’a procuré un bon moment de lecture. Ce fut une belle découverte.