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la feuille volante

LES GRANDES BLONDES – Jean ECHENOZ

 

 

 

N°409 – Mars 2010

LES GRANDES BLONDES – Jean ECHENOZ – Éditions de Minuit .

 

Jean Ricardou définit ainsi « le nouveau roman » : « le roman n'est plus l'écriture d'une aventure, mais l'aventure d'une écriture. ». C'est probablement pertinent puisque dès la première phrase le lecteur, entre de plain pied dans la fiction, en effet « vous êtes Paul Salvador », le héros de ce roman, et « vous cherchez quelqu'un » ... mais, quelques mots plus tard, il apprend que « vous n'êtes pas Paul Salvador », précise plus loin Echenoz. Alors le lecteur qui s'attendait à jouer un rôle personnel dans cette aventure, revient à la réalité. C'est l'auteur qui décide, et lui seul, comme d'habitude!

Qui est donc ce Paul Salvador? Un producteur de télévision qui envisage une émission sur « les grandes blondes », type de femmes qui font fantasmer les hommes depuis toujours et pour ce faire il souhaite donner la parole à Gloire Abgrall, alias Gloria Stella, ex-star du show-biz qui, après quelques années de succès et des démêlés judiciaires pour avoir poussé dans la cage d'ascenseur un de ses amants, a complètement disparu du décor. Pour ce faire et remettre sur le devant de la scène des artistes disparus, sur le thème « Que sont-ils devenus? » il fait appel à Jouve, lequel embauchera Kaztner, Personnettaz et Bocarra pour la retrouver. Au terme de vaines tribulations qui vont conduire ces derniers de Paris, en Bretagne, en Inde puis en Australie, il deviendra évident que Salvador en arrive à la conclusion que pour participer à cette émission, il n'est pas forcément nécessaire d'être grande... et blonde et que, pour lui, le concept de la blondeur est relatif et même très subjectif! Et d'ailleurs, cette émission ne pourra avoir lieu pour la seule raison que Gloire Abgrall ... est insaisissable, imprévisible et dangereuse (elle a une propension assez grande à pousser les gens dans le vide) et ce qu'elle veut surtout, c'est qu'on la laisse tranquille!

Et le lecteur dans tout cela qui croyait au départ jouer un rôle? Eh bien il doit se contenter de lire et de suivre cette histoire un peu rocambolesque où apparaissent sporadiquement des personnages assez improbables, un loup de mer, un policier pas net et des mafieux indiens sans parler évidemment de Béliard, un homuncule de trente centimètres de haut perché sur son épaule, omnipotent et toujours là quand il faut (mais qui s'efface à la fin, tout un symbole!), que Gloire est la seule à voir et qui mène avec elle des dialogues surréalistes. J'avoue qu'il me plaît bien ce Béliard, il incarne les mauvais penchants que chacun porte en lui, une sorte de diable, un « directeur de mauvaise conscience ». On le retrouvera, mais sous des traits différents dans d'autres romans, Il y a aussi Lagrange, avocat de son état, et bien d'autres !

L'étonnant chez Echenoz, outre une manière d'écrire attachante et même jubilatoire [ j'aime bien son sens de la formule - « Une voix de parachute en vrille » « Un lapin frémissant et charnu braquait son œil opaque vers le court terme » «(le jour) déclinait dans un rose de nautile, de fraises à la crème et de glaïeuls »... ], c'est qu'il crée des personnages avec un grand soin du détail, et qu'il les fait disparaître ensuite définitivement, aussi vite qu'ils sont apparus. L'auteur certes raconte une histoire, et le fait à la troisième personne, mais, de temps en temps, sans qu'on sache très bien pourquoi, il interpelle ses personnages, se fait leur complice aussi facilement qu'il les escamote. On a l'impression qu'Echenoz change constamment de casquette, fait et défait, au gré de son humeur, les destins, les situations les plus extravagantes dans lesquelles se dépatouillent ses pauvres protagonistes, un véritable jeu de piste, où, je dois l'avouer, je me suis, moi aussi, un peu perdu.... C'est sans doute une façon de faire éclater les bases du roman traditionnel. Pourquoi pas?

De quoi laisser le lecteur, pourtant sollicité au départ semble-t-il, sur une faim que la fin justement, même si elle est distillée sous la forme d'un happy-end, est un peu déconcertante, peut-être un peu trop convenue, classique ou prévisible? Ce lecteur, justement, pourrait se dire « tout ça pour ça! » Quand même, ce doit être cela, un roman. Voyager à l'invite de l'auteur, à l'intérieur d'un décor dépaysant, rencontrer des personnages sans les connaître, en les abandonnant, un peu triste de les quitter le livre une fois refermé, avec l'impression d'avoir passé un bon moment, d'avoir bien aimé l'histoire, de ne pas regretter le temps passé qui n'est pas, évidemment, du temps perdu, en ce disant qu'à l'occasion on referait bien quelques pas avec cet auteur.

L'écriture, qui est toujours une alchimie, fonctionne ici parfaitement et le style d'Echevoz, plein d'humour et de subtilités, de jeux de mots et d'ambiguïtés, me plait bien.

© Hervé GAUTIER – Mars 2010.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

 

 

 

 

 


 

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