la feuille volante

AU REVOIR LA-HAUT

N°734 – Mars 2014.

AU REVOIR LA-HAUT– Pierre Lemaître – Albin Michel.

Prix Goncourt 2013.

 

« Alors au revoir, au revoir là-haut, ma Cécile, dans longtemps » Telles sont les dernières paroles du soldat Albert Maillard qui, au fond d'un trou d'obus va mourir. Elles font écho à l'exergue en tête du roman et lui donnent son titre.

 

La trame de cette fiction, car c'en est une, est finalement une suite de rencontres comme le hasard nous e réserve parfois dans la vraie vie. Ici, c'est la Grande Guerre qui favorise celle du 2° classe Albert Maillard qui frôle la mort par ensevelissement dans un trou d’obus et le soldat Édouard Péricourt qui lui sauve la vie au péril de la sienne. Ils sortiront de ce conflit pas mal cabossés, surtout Édouard, mais vivants et unis par un lien amical solide. Si Albert n'est rien qu'un simple salarié, un homme du peuple, son camarade est le fils un peu délaissé parce que trop artiste et efféminé du banquier bien connu qui a fait sa fortune sur les crises successives. Il a eu la mâchoire arrachée refuse la greffe et le retour dans sa famille et naturellement c'est Albert qui qui va s'occuper de cet homme défiguré, tenté un temps par la mort et dont il ignore tout. Il va subvenir à ses besoins et le ramener à la vie. Son état est si désastreux qu'il va même jusqu'à le faire mourir, mais fictivement, en intervertissant son livret militaire avec celui d'un « poilu » mort : officiellement il devient donc Eugène Larivière. Albert, à qui la guerre a tout pris, son emploi, sa femme parti avec un autre, ses illusions, s'occupe dans la vie civile quotidienne à la quelle ils ont été rendus, de cette « gueule cassée » qui maintenant est dépendant à la drogue qui apaise ses souffrances. Édouard-Eugène qui refuse toujours de revenir dans sa famille où sa mort est presque passée inaperçue, sauf peut-être pour Madeleine sa sœur, ne peut rien attendre de l’État au titre des soins puisqu’il est officiellement mort. Il se contente de porter des masques qui cachent son image insoutenable et de rester cloîtré.

 

Rencontre encore quand le capitaine d'Aulnay-Pradelle, noblaillon « fin de race », prêt à tout pour se faire valoir et parfois même à tuer y compris ses propres soldats mais surtout désargenté, va croiser la route de Madeleine Péricourt venue chercher le corps de son frère. Il l'épousera pour redorer son blason et son patrimoine, la trompera et son mariage partira à vau-l'eau. La libération fera de lui un affairiste inhumain et méprisant pour ses semblables qui se jettera dans des transactions douteuses. La République qui avait si bien su mener ses enfants à la boucherie va oublier les survivants et s'occuper des morts puisqu'il faut bien célébrer la victoire et surtout préserver les apparences. C'est là que Pradelle intervient puisque, maintenant introduit par son mariage dans la société dirigeante, va monter une société qui sera chargée, par adjudication, d'exhumer les soldats morts des champs de bataille et de les inhumer dans de grandes nécropoles. L'affaire faite de trucages des marchés publics, de malfaçons, de vols et de corruption tournera court et Pradelle, lâché par tous mourra seul et ruiné.

 

De son côté, Albert qui a à sa charge Édouard survit comme il peut avec peu de ressources. On ne donne pas cher de leur avenir à tous les deux quand ledit Édouard a une idée de génie. Lui qui a un don pour le dessin décide de l'exploiter quand l’État incite les communes de France à honorer leurs enfants en érigeant un « monument aux morts ». Partant du principe que plus un mensonge est gros plus il prend, notre dessinateur va, sans sortir de chez lui, monter une arnaque baptisée du nom ronflant de « Souvenir Patriotique » qui fait appel aux subventions publiques d'ailleurs maigres mais surtout à la souscription. C'est, certes, escroquer les petites gens qui avaient perdu un proche à la guerre et donc une insulte aux morts mais pour eux, c'est une revanche. L'affaire réussit bien au-delà de leurs espérances et pour eux un départ sous d'autres cieux plus cléments pour les délinquants est maintenant inévitable. Là non plus tout ne se passera pas comme prévu et le scandale éclatera.

 

Parce que la morale doit toujours être sauve, le père Péricourt, maintenant bourrelé de remords à cause de la disparition de son fils à côté de qui il est passé délibérément avant ce drame, y laissera quelque argent et sûrement davantage, Pradelle retrouvera une place qu'il n'aurait jamais dû quitter et nos deux acolytes ne profiteront pas vraiment de cette fortune mal acquise.

 

J'ai lu ce roman jusqu'à la fin avec passion autant pour connaître l'épilogue que pour le plaisir de lire le texte. Ce n'est pourtant pas à cause du style fort peu académique mais peu importe. J'avoue que j'ai volontiers goûté l'humour subtil des phrases, la manière à la fois caustique et fluide avec laquelle Pierre Lemaître s'exprime [j'ai même parfois souri à certains bons mots bien que le sujet ne s'y prête pas vraiment]. Je ne l'ai pas fait non plus à cause de l'attribution de ce prix prestigieux. J'ai déjà déploré maintes fois dans cette chronique qu'il ait été attribué à des romans qui ne le méritaient pas ; Je l'ai pourtant lu avec gourmandise à cause de l'histoire pleine de suspense, de l'étude psychologique des personnages qui s'accompagne d'un réel sens de la formule et du culte du détail. C'est une authentique évocation de l’espèce humaine qui n'est ni respectable ni fréquentable mais à laquelle nous appartenons tous. Ce qui a aussi retenu mon attention c'est sans doute le montage de cette arnaque, certes fictive mais quand même géniale autour des débris de cette guerre qu'on a baptisée Grande (avec une majuscule) et que l’État voulait vite oublier comme il voulait oublier ceux qui l'avait faite, vivants ou morts. On avait su les trouver, les forcer à se battre, à vivre dans des conditions inhumaines, à mourir « Pour la Patrie », on saurait bien les abandonner (comme toujours) malgré toutes les déclarations lénifiantes et patriotiques des hommes politiques et les commémorations hypocrites ! Et ceux qui étaient décidés à profiter des commandes de l’État autour du transfert des morts ne manquaient pas. J'y ai lu aussi l'histoire d'une amitié entre deux anciens combattants devenus frères d'armes un peu par hasard, à la fois inventif et flamboyant pour Édouard et maladivement inquiet pour Albert aussi dissemblables l'un de l'autre par leur vie, leur classe sociale, leur culture. Leur expérience du champ de bataille les a définitivement unis, eux qui appartiennent à cette génération délibérément sacrifiée sur l'autel de la Patrie.

 

Je ne connaissais pas Pierre Lemaître avant ce roman réellement captivant qui fut pour moi un grand moment de lecture. Je crois bien que je vais continuer à explorer son œuvre.

 

 

 

©Hervé GAUTIER – Mars 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

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