TERRE DES HOMMES
- Par hervegautier
- Le 13/12/2015
- Dans Antoine de Saint-Exupéry
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N°998– Décembre 2015
TERRE DES HOMMES – Antoine de Saint-Exupéry – Gallimard.
L’œuvre de Saint-Exupéry est indissociable de sa vie. C'est particulièrement vrai pour ce livre paru en 1939 et qui fut couronné par « Le Prix du roman de l'Académie Française » et par le « National Book Award » sous le titre « Wind, Sand and Stars ». Pourtant ce n'est pas un roman comme« Courrier Sud » et « Vol de nuit » mais bien plutôt une sorte d'essai autobiographique écrit à la première personne, une suite de récits et de témoignages, de méditations aussi sur ses expériences de pilote. C'est son troisième ouvrage qui est une sorte de compilation d'articles écrits pour différents journaux mais rassemblés par lui sans doute à l'invitation d'André Gide qui avait préfacé et tant apprécié « Vol de nuit ». Il avait aimé en lui cet écrivain-pilote hors norme, le message qu'il portait, la façon à la fois poétique et humaine avec laquelle il l'exprimait.
Saint-Exupéry y raconte ses débuts dans ce qui est l'aéropostale naissante, c'est à dire pour lui un métier mais surtout une invitation à l'aventure et à la méditation face à l'immensité et la solitude du désert. Dès la première ligne, il donne le ton de cet ouvrage « La terre nous en apprend plus sur nous que tous les livres. Parce qu'elle nous résiste. L'homme se découvre quand il se mesure avec l'obstacle.» Il évoque ses camarades, Mermoz, Guillaumet et son incontournable épopée dans les Andes comme autant de modèles, parle de l'esprit d'entraide, de l'avion qui n'est qu'un outil « comme une charrue », observe la planète, mentionne la mort qui guette les pilotes, le vide qu'ils laissent quand la camarde leur prend la vie, évoque ses relations en plein désert avec les Maures, parfois tendues, parfois hypocritement calmes. Dès lors la mission prend le pas sur le métier, elle devient un but, la raison d'être d'une vie, loin des biens matériels [« Nous nous enfermons solitaires avec notre monnaie de cendre qui ne procure rien qui vaille la peine de vivre ».]
Assurant le transport du courrier entre Toulouse et Dakar à la compagnie Latécoère, il sert de médiateur entre les hommes, est comptable de leurs mots confiés au fragile support du papier, voyage sur le dos des nuages et les épaules du vent, et face aux dangers de la navigation, aux tribus insoumises, risque sa vie. Puis vinrent ses autres expériences et souvenirs, en Amérique du sud notamment, avec toujours cette célébration de l'avion, de l'effort accompli, du but à atteindre. A l'occasion d'un accident qu'il a dans le Sahara avec son navigateur André Prévot, il évoque ses craintes de la mort lente que procure la soif, le certitude de l'abandon en terre inconnue avec son cortège d’hallucinations, d'espoirs fous que tissent l’illusion des mirages quand le désert réclame son tribut et que l'eau est plus précieuse que l'or. Tout cela tisse et ressert l'amitié entre les camarades qui œuvrent dans le même but.
A la lumière de ses expériences il nous invite à réfléchir sur notre présence ici-bas : La terre ne nous héberge que temporairement et il est vain de vouloir la détruire par la guerre. Dès lors il parle de la fragilité de la vie, du destin de l'homme, de ses grandeurs, de ses contradictions, de ses faiblesses, de ses embrasements pour une cause qu'il croit juste. En prenant l'exemple des religions qui agitent sous nos yeux des assurances de plénitude pour lesquels tout semble permis à quelques exaltés, ce livre prend des accents très actuels. En fin de récit, comme dans une sorte de conclusion, il jette sur le monde et sur ses habitants un regard à la fois désabusé, plein de compassions et d'espoirs malgré la guerre civile espagnole dont il a rendu compte en tant que journaliste et le conflit mondial qui se prépare et dont il pressent sans doute l'horreur. La communauté humaine qui, au nom de l'idéologie du profit ou d'un hypothétique bonheur promis, ne cesse de dresser ses membres les uns contre les autres, va à nouveau se déchirer alors qu'il y a plus à partager qu'à lutter et haïr et que notre vie est unique et éphémère. Dans cet ouvrage, il se fait philosophe, tente peut-être de rappeler l'homme à la raison, de privilégier ce qui fait sa grandeur, l'amour, la fraternité, l'obligation de vivre ensemble et donc solidaires, pour une vie meilleure qui reste cependant idéale. En remettant l'homme au centre du monde, il appelle à la paix, à l'amour et à la tolérance entre tous.
Hervé GAUTIER – Décembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com
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