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la feuille volante

Je dirai malgré tout que cette vie fut belle

La Feuille Volante n°1024– Mars 2016 ans

Je dirai malgré tout que cette vie fut belle – Jean d'Ormesson.

 

Tout au long d'un improbable procès, dont on se doute qu'il sortira acquitté, où il est à la fois le juge et l'accusé, Jean d'Ormesson, bien qu'il s'en défende, si on en juge d'après ses propos dans la presse et même sur la quatrième de couverture, nous offre un livre de Mémoires. Dans cette même quatrième de couverture il demande qu'on ne compte pas sur lui pour livrer des souvenirs d'enfance et de jeunesse... mais se dépêche de faire le contraire ! Et pour faire bonne mesure, il en rajoute un peu sur le thème déjà bien sollicité de la « saga » familiale. C'est un véritable monologue, camouflé sous des dehors peu crédibles (Moi, et Moi souvent rebaptisé Sur-moi), une sorte de dédoublement de la même personne qui fait en alternance les demandes et les réponses, dans le seul but de satisfaire sa grande passion, : nous parler de l'auteur, de sa vie, de ses livres...Encore une fois, comme c'est souvent le cas chez lui, nous assistons à un exercice, certes brillant et passionnant, mais fortement inspiré par le solipsisme! Qu'il appartienne à une grande famille aristocratique, avec tous les attributs de celle-ci, qu'il ait lui-même mené une vie pleine de réussite professionnelle, artistique, culturelle, personnelle… sa dimension entretenue de personnage public le laisse penser, et qu'il puisse, à son âge avancé (90 ans), considérer ce parcours comme beau, est parfaitement admissible ; nous eussions été surpris du contraire, nous ses lecteurs. Il égrène donc pour nous ses souvenirs puisés dans la politique, l'histoire, la littérature, le journalisme et l'amour, un parcours aussi brillant que protéiforme, mais la modestie un peu feinte dont il souhaite se parer me semble un peu fausse quand même. Même s'il voudrait bien donner l'impression de n'être pas grand-chose on sent bien, à le lire, qu'il est conscient de n’être pas comme tout le monde. Il s'exprime avec prolixité et j'ai craint au début de m’ennuyer tout au long de ces presque cinq cents pages mais finalement l'intérêt a pris le dessus, preuve s'il en fallait une qu'il n'est effectivement pas un vulgaire quidam. Il s'exprime avec son érudition coutumière et cette langue française dont il est un des meilleurs serviteurs, et c'est bien entendu un plaisir de le lire.

Il nous confie son admiration pour les hommes qui bien souvent furent ses maîtres et parfois ses amis et pour les femmes qui ne furent pas toutes ses maîtresses mais dont la beauté sut l'émouvoir. Certes il a commis des fautes et les confesse sans détour mais c'est aussi une manière de se mettre en valeur. Il parle aussi, bien sûr, de l'Académie dont rêve tout écrivain. Il y siège depuis longtemps, Immortel que ces lieux impressionnent, mais qui aurait ressenti comme une insulte personnelle de n'y pas figurer simplement peut-être pour que son nom et son œuvre ne soient pas oubliés définitivement avec sa mort. De cette vénérable institution, dont il fut le plus jeune académicien et dont il est maintenant le doyen, il parle comme d'une assemblée de notables des Lettres mais aussi d'un repère de trublions, friands de petites avanies ou de blagues de potaches, l'esprit en plus, évidemment ! S'il sait reconnaître ceux qui l'ont aidé, c'est aussi une manière de dire que ceux-là ne se sont pas trompés et que, lui donnant leur appui, ils l'ont fait pour un être exceptionnel, c'est à dire lui ! Au cours de ce procès un peu surréaliste où on se demande bien ce qui lui est au juste reproché, à part peut-être avoir existé, il en profite pour réaffirmer son amour du monde, de la vie, pour déplorer un nouvelle fois la condition humaine dans tous ses aspects, la naissance par hasard, le temps qui passe et la mort inévitable, pour réaffirmer sa croyance en Dieu comme il l'avait fait notamment dans « Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit ». Je ne le connais qu'à travers ses livres, c'est à dire mal, mais il me semble qu'il est friand de reconnaissance, avec tout ce que cela comporte de rituels et même d'hypocrisie mais j'avoue qu'il joue parfaitement son rôle dans ce procès imaginaire.

Ce livre qui, encore une fois, emprunte son titre à un vers d'Aragon nous montre sans fard un écrivain mondain, narcissique quelque peu vaniteux mais qu'importe. Pour d'Ormesson, parler de lui est une institution et il est vrai qu'il le fait bien et il sait captiver son lecteur. C'est peut-être l'homme d'un seul livre dont Saint Augustin conseillait qu'on se méfiât. Et après ! Je dois dire en revanche que la fin de ce procès tient un peu de la pantalonnade. Dans la troisième partie, il tire le bilan de sa vie et jette sur le monde qui l'entoure un regard désabusé, serein penseront certains, face à ses changements rapides, à ses oscillations perpétuelles entre ascension et déclin, génératrices de progrès mais aussi de souffrances. Il pense à sa propre mort et en vient même à penser que ce Dieu en Qui il croit n'existe peut-être pas !

© Hervé GAUTIER – Mars 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

 
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