la feuille volante

Six jours, six mois – Karine Tuil

 

N°491– Janvier 2011.

Six jours, six mois – Karine Tuil- Grasset

 

 «  J'ai décidé de raconter cette histoire par ambition personnelle, je rêve de voir mon nom imprimé sur la couverture d'un livre. De l'orgueil, bien sûr, mais chacun à droit à son heure de gloire, non ». D'emblée, le lecteur ne peut donc l'ignorer, il va avoir affaire à un déballage de linge sale, mais pas n'importe lequel, celui qu'on cache dans une grande famille de cette Allemagne industrielle de l'après-deuxième-guerre, triomphante, écrasante, clanique. Le délateur, Karl Fritz, soixante-dix-huit ans, homme de confiance de la famille Kant depuis deux générations, quelqu'un qui avait fini par faire partie de ce clan. Il leur est tellement dévoué qu'il accepte de renoncer à l'amour d'une femme pour continuer de demeurer avec eux. Pourtant, après une vie de bons et loyaux services, il est mis à la porte sans ménagement.

 

Au départ, Juliana Kant, fille du grand patron de la firme automobile K&S et son héritière. Elle est donc riche et puissante mais aussi une jolie femme. Elle est mariée depuis plusieurs années avec Chris Bruner, mais leur vie s'étiole et devient ennuyeuse. Alors, quoi de mieux que de tromper ce mari trop occupé à sa réussite. Ce n'est guère original sauf que cette passade va bouleverser sa vie. Herb Braun, l'amant d'occasion se présente comme un photographe, mais c'est surtout un aventurier, un gigolo. Il la séduit, la subjugue et la fascine sans grands efforts. Mais Braun poursuit un but bien différent. Il réussit à filmer leurs ébats amoureux avec sa maîtresse et la menace de tout révéler à la presse. L'affaire tourne court et Braun est emprisonné ce qui sauvegarde la morale de cette histoire et aussi un peu l'argent. Pour autant, celui qui était l'homme de confiance des Kant, suspecté de complicité dans cette affaire, est licencié brutalement et, par vengeance, s'apprête à révéler les dessous de cette scandaleuse affaire. Le père de Braun aurait été, durant la guerre, exploité par la famille Kant. Le but de tout ce scandale ne serait donc pas l'argent, mais le nécessaire châtiment et le rachat des fautes de cette famille.

 

C'est l'occasion pour l'auteur de revisiter l' arbre généalogique des Kant, leur attitude complice et coupable avec l'Allemagne nazie, leur fortune basée sur la main d'œuvre gratuite fournie par les camps de concentration, leur compromissions dans la lutte contre les juifs jusque dans leur famille, la sauvegarde accordée par les alliés vainqueurs au nom de la richesse et de la prospérité. C'est que l'histoire de cette famille se confond avec celle de l'Allemagne du 3° Reich à qui elle doit en grande partie sa richesse et son influence. C'est une famille à la fois recomposée et décomposée. Le grand-père de Juliana, nazi notoire, a échappé au Tribunal de Nuremberg malgré la part active qu'il avait prise dans la politique de guerre nazie et Magda, qui fut sa première épouse se remaria avec Geobbels. Juliana a complètement renié son père adoptif au seul motif qu'il était juif. Le père de Braun a-t-il été véritablement déporté dans un camp de concentration ?

C'est aussi l'histoire d'une vengeance qui dépasse largement un banale histoire de coucherie et de maître-chanteur. L'auteur pose une question qui est le fondement de la culpabilité judéo-chrétienne : les fils sont-ils responsables des fautes de leur père. Le pardon est-il possible ? Qu'en est-il de l'amour-fou et du désir qui bravent tous les interdits et tous les tabous ? A-t-on le droit de trahir ceux qu'on aime et de faire prévaloir son propre intérêt ? Que reste-t-il de la famille et de l'image du père quand on choisit de la détruire à ce point ? Quel est le poids de la solitude de Juliana Kant, véritable héroïne de ce livre ? Un femme, si belle soit-elle, peut-elle être aimée ?

 

Sur le ton mi-confidentiel mi-agressif de celui qui souhaite créer le scandale, mais au compte-goutte seulement, celui qui fut l'homme de confiance de cette famille distille, sur le mode de la revanche, l'histoire d'une saga.

©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

 

 

 

 

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