Autobiographie d'un étranger
- Par hervegautier
- Le 03/08/2024
- Dans Marc LEVY
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N°1922 – Août 2024.
Autobiographie d’un étranger– Marc Levy Robert – Atlande.
Depuis qu’il existe, le train est le lieu privilégié des conversations entre voyageurs, surtout lors des anciens parcours de nuit qui, plus que les autres, suscitaient les confidences. C’est là, dans le tangage des bogies et le huis clos d’un compartiment, que deux amis âgés se sont mis d’accord pour raconter la vie de l’autre dans deux livres différents et c’est donc le parcours cet inconnu que nous raconte le narrateur. Le paradoxe était que leurs deux existences n’avaient aucun intérêt, les intéressés étant de parfaits inconnus. La seule raison de cette expérience était peut-être de laisser une trace de leur passage sur terre pour leur parentèle. Une telle démarche peut paraître passionnante mais, quand on revient sur son passé et donc sur ses erreurs, on en sort rarement indemne !
Alterego, c’est le nom que choisit le narrateur pour évoquer cet ami, désormais retraité, à qui il prête une oreille attentive et dont il détaille l’enfance, les apprentissages, les rencontres parfois flétries par la mort, les amitiés, les amours, avec leurs silences, leurs mystères, leurs impasses… Cet homme qui reste anonyme, présente son parcours professionnel comme une réussite, un peu bousculée sur la fin, tout en mentionnant la rencontre de personnages importants du monde de la politique et de la culture, mais ce qui est notable c’est sa fascination pour la beauté des femmes et toutes celles qu’il a tenues dans ses bras ou qui ont fréquenté son lit avaient la distinction que confère un certain âge où la fraîcheur de la jeunesse. Le narrateur, en parfait scribe de ce qu’il entend, le présente comme un séducteur et, par-delà les mots, il m’apparaît comme un homme qui ne peut résister à l’attrait d’une jolie femme, mais aussi qui n’admet pas que l’une d’elles lui résiste. J’observe d’ailleurs que pour un homme ce sujet est bien souvent une occasion de se mettre en valeur pour son interlocuteur et de se vanter, lui donnant à penser que ses succès féminins sont nombreux. C’est une manière d’établir sa virilité et bien entendu son charme d’autant plus ravageur qu’il pratiquait ses aventures avec des femmes mariées, parfois concomitamment avec d’autres partenaires. Je l’imagine d’ailleurs bien, distillant cette liste sucrée avec des mots suffisamment évocateurs pour donner l’impression au narrateur d’être un authentique Don Juan qui a quand même gardé de chacune d’elles un souvenir assez précis pour ainsi, après toutes ces années, être capable d’en évoquer le souvenir passionné. A ses dires, il a vécu ses aventures passionnément mais elles se sont interrompues souvent avant que l’amour ne se transforme en conflit dévastateur et pourrisse ainsi le souvenir. Les femmes qui se sont succédé dans son lit, y ont laissé l’empreinte de leur corps et la fragrance de leur parfum, n’ont été pour lui qu’une simple étape et il est permis de penser que c’est lui qui y a mis fin, simplement pour passer à une autre. Ces liaisons se sont muées parfois en amitié durable, c’est à tout le moins ce qu’il prétend ; je veux bien accepter cette éventualité, sans vraiment y croire et ce malgré tout ce qu’on peut dire sur ce sujet. Les tentatives de vie commune ont semblé au contraire s’être heurtées à une impossibilité provoquée par lui pour éviter que soit menacé son équilibre personnel, un peu comme si son destin d’amant perpétuel s’opposait à une vie maritale rangée si éloignée du nomadisme amoureux qu’il avait longtemps pratiqué. C’était une sorte de paradoxe un peu comme si, l’âge venant, il souhaitait tourner la page du « donnaiollo »(délicieuses expression italienne pouvant signifier « homme à femmes » en français) qu’il avait toujours été, mais qu’inconsciemment il refusait cette option tout en en portant la cicatrice. La vie de couple implique, pour durer, franchise, confiance et fidélité réciproques ce qui n’a rien à voir avec une passade, toute passionnée soit-elle, de sorte qu’il est resté célibataire sans enfant, surtout désireux d’une certaine juvénilité chez ses partenaires séduites selon lui par sa maturité. On est loin d’une passion romantique.
Une telle posture ne peut, à terme, qu’impliquer une solitude devenant de plus en plus pesante avec les années. L’épilogue m’a, sur ce point, paru révélateur.
Le narrateur est ainsi le témoin du parcours de cet étranger, le simple tabellion de ce qu’il entend, sans objecter quoi que ce soit, sans émettre le moindre jugement ni même le moindre doute. Parfois cependant il risque un petit commentaire personnel sur une personnalité rencontrée ou sur un auteur dont Alterego et lui partageaient de l’intérêt. Je me suis demandé si, comme on le dit, la parole est libératrice et si cet ami, à la fin de son récit s’est senti libéré ? A tout le moins a-t-il pu prendre conscience des cahots de ce parcours. Je ne suis qu’un simple lecteur mais j’ai ressenti une impression prégnante d’avoir affaire à un homme suffisant, imbu de lui-même.
Pour cette fois Marc Levy quitte son domaine de prédilection qu’est le merveilleux encore que je ne suis pas sûr que ces quelques pas dans le domaine de la séduction ne puissent pas tout simplement être du domaine du fantasme. Ces confidences échangées avec le narrateur ont un goût de bilan au résultat mitigé même s’il choisit unilatéralement de ne se souvenir que des plus agréables.
Le prétexte de ce roman était la vie de l’autre racontée par le narrateur. Le livre refermé, il est permis de se demander ce que donnerait la rédaction de cet ami. Pour moi, je crois que Je serais assez curieux de ce travail. Cela donnerait, une autobiographie d’un autre étranger à découvrir sous la plume de Marc Levy. Je suis en effet, depuis quelques temps, son univers créatif, sans toujours en partager le cheminement. En revanche ce que j’apprécie chez lui depuis le début c’est la fluidité de son style, la pratique de notre belle langue française, sa précision autant que ses nuances et ses subtilités. Il n’est pas un de ces écrivains qui emploient à dessein des formules absconses mais au contraire s’exprime simplement pour être compris. C’est élémentaire sans doute mais, à mes yeux, cela m’a toujours paru essentiel pour un auteur. Le lire est toujours pour moi un plaisir.
Ce récit quelque peu dithyrambique où Alterego veut surtout passer pour irrésistible, est plein ce détails sucrés et sensuels où la jouissance des instants intimes partagés est particulièrement bien évoquée par le style toujours aussi fluide et attachant de Marc Levy
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