L'alcool et la nostalgie
- Par hervegautier
- Le 30/12/2011
- Dans Mathias Enard
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N°548 – Novembre 2011. L'ALCOOL ET LA NOSTALGIE – Mathias ENARD – Éditions Inculte.
Le récit commence dans un train à Moscou et, par une sorte de monologue de Mathias à son ami. Il lui adresse des reproches cordiaux « Tu es un faux-frère, Vladimir, tu ne bois pas, pas une goutte mon salaud... ». Puis vient Jeanne qui sur le quai de la gare attend Mathias. Grâce à une sorte d'analepse, il se remémore un coup de téléphone en pleine nuit, des paroles désordonnées de cette femme, inspirées autant par le chagrin que par la surprise. Puis, au fur et à mesure que le roman avance, le lecteur comprend que ces trois personnages étaient « comme des poupées russes... emboitées les unes dans les autres, inutiles au dehors ouvertes en deux et vides », une sorte de ménage à trois surréaliste, basé sur la drogue, l'alcool, le masochisme. La mort de Vladimir fait revenir Mathias auprès de Jeanne, à Moscou, mais ce voyage est sans issue, « on ne berce pas des enfants grandis », elle l'avait quitté pour Vladimir. Pourquoi Mathias fuit-il ainsi ? Il veut ramener la dépouille de son ami dans son village, en Sibérie, dans un train qu'il appelle « le trans Baïkal ». C'est donc un voyage de trois jours et de plusieurs milliers de kilomètres avec un fantôme. La solitude, la nostalgie lui rappellent leur histoire, sa vie d'avant avec cette jeune femme dont il était amoureux et qu'il voulait garder, la fuite de Jeanne vers Moscou et sa rencontre avec Vladimir. L'ombre de Pouchkine, cocu et mort en duel, tué par celui dont il sera doublement la victime, s'étend sur Mathias au rythme lancinant des boggies. Pourtant Vladimir et lui étaient amis et Jeanne n'était pas vraiment cette femme infidèle, elle a simplement vécu sa vie « De nous trois seule Jeanne a réussi à rester vivante, elle a su nous fuir, nous mettre à distance, mais de loin...parce que Jeanne n'est plus la petite princesse qui se laisse bêtement emportée par ses couches ou par une maladie quelconque, c'est une force. ». Il comprend même que la mort de son ami est une forme de suicide, d'acceptation du néant « Je sais que si tu as décidé d'en finir, c'est que tu n'avais pas cette force, tu t'es laissé aller à l'accident, parce que tu ignorais comment sortir de cette histoire, comme moi tu savais que tu perdais Jeanne, qu'elle construisait son chemin dans la vie bien plus vite que nous ». Pour eux, les hommes, elle incarne quelque chose qui graduellement s'efface « (Jeanne) se donnait la force de ses rêves alors que nous, nos songes d'enfants devenaient petits à mesure que nous grandissions ». C'est que la mort dont il rêvaient, eux, les deux hommes de ce trio, c'était celle d'un héros de guerre, d'un révolutionnaire qui accepte le sacrifice avec courage et abnégation pour échapper à cela. Maintenant, Mathias se retrouve seul à Novossibirsk . C'est une folie que ce voyage de froid et de glace, une fuite avec le cercueil de Vladimir et le souvenir de Jeanne bien vivante. C'est que ce voyage a quelque chose d'initiatique, une sorte de rite de passage ou plutôt d'abandon de cet amour sans issue. Cette amitié qui n'en était pas une était floue à cause du personnage de Jeanne, de son corps de femme désirable, mais qui ne pouvait vraiment appartenir ni à l'un ni à l'autre « Je regrette ces moments flous... l'impossibilité d'admettre que nous étions trois, cette terrible morale biologique qui nous condamne à la bijection, à la symétrie...nous nous sommes repoussés toi et moi, face à l'aiguille d'une boussole ». Leur histoire était condamnée d'avance avec, en contre-champ, l'âme russe faite « d'alcool et de nostalgie », la mort et la vie, Eros et Thanatos, Jeanne qui revient en filigrane entre ce fantôme et ce « vivant déjà mort », qui réaffirme sa présence et son appétit de vie... Avec Mathias ! « Ton cœur bat dans ma main, nos cœurs battent dans nos mains, tous les cours battent dans toutes les mains. »
J'avais bien aimé « Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants » [La feuille volante n° 477), je n'ai pas été déçu par ce récit littéraire qui est « l'adaptation plus ou mois fidèle d'une fiction radiophonique écrite dan le Transsibérien entre Moscou et Novossibirsk » avec, sans doute, l'ombre de Blaise Cendras.
©Hervé GAUTIER – Novembre 2011.http://hervegautier.e-monsite.com
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