la feuille volante

La dentellière

N°1880 – Mai 2024.

 

La dentellière – Pascal Lainé – Gallimard.

Prix Goncourt 1974.

Je rouvre ce livre, lu et apprécié à sa sortie, il y a bien longtemps parce qu’il y a quelque chose qui me rappelle des bribes de mon existence personnelle, des bribes seulement. Je ne me souviens plus qu’elle a été ma réaction à ce moment-là mais j’ai relu ce roman sans désemparer, comme une redécouverte et cette histoire qui aurait pu être un peu mièvre m’a à nouveau passionné.

La première partie, la plus longue, raconte l’histoire de Pomme, une oie banche, pour qui la vie n’avait pas été généreuse et qui s’attendait à ce que cela ne change pas jusqu’à la fin. Elle rencontre, un peu par hasard Aimery, un étudiant probablement plein d’avenir mais noblaillon ruiné avec qui elle se met en ménage. Comme toutes les jeunes filles, elle cherche un mari pour fonder une famille, mais qu’espère-t-elle vraiment ? Entrer dans cette lignée où d’évidence elle n’a pas sa place et ainsi sortir de sa condition de modeste salariée et de sa pauvreté, l’aime-t-elle vraiment au point de reconstituer auprès de lui le rôle traditionnel de l’épouse, dévouée, fidèle, économe, efficace au point qu’il voit en elle cette « dentellière » dont il rêvait peut-être et qui lui fait l’offrande de sa virginité. Joue-t-elle plus ou moins consciemment ce jeu sans perdre de vue cet objectif de s’unir à lui pour la vie ? On imagine très bien la mère de ce garçon faisant la morale à son fils et lui rappelant ses origines, dénonçant une éventuelle mésalliance insupportable, le rejet de la tradition dans une famille traditionnelle, bien pensante et catholique. Avec Pomme, il fait l’amour, profitant certes de la beauté de cette jeune fille un peu naïve, lui qui n’a pas dû avoir beaucoup de succès auparavant, mais ils font de plus en plus vieux couple et le silence s’installe entre eux, l’inverse d’une passion amoureuse ! Même si elle avait ce qu’il fallait pour obtenir ce qu’elle voulait, elle accepte sans broncher la rupture qu’Aimery lui impose parce qu’ils ne sont pas du même monde et la vie reprend son cours pour chacun. Ils auraient se tromper mutuellement, elle aurait pu tomber enceinte et le mettre devant ses responsabilités mais rien de tout cela et le garçon peut poursuivre ses études et fantasmer sur son avenir. Il tourne simplement cette page de sa vie comme on clôt une passade. Sa réaction à elle est bien différente. Elle traînera sa peine comme un échec pendant longtemps se laissant peu à peu gagner par la folie. Un épilogue bouleversant où les impressions ordinaires qu’on peut avoir après avoir lu cette histoire bien banale prend ainsi une dimension plus tragique.

La deuxième partie de ce roman, d’ailleurs beaucoup plus courte, donne à ce récit une dimension différente puisque la rédaction passe à la première personne. Ce n’est peut-être qu’une histoire racontée mais ce changement dans la rédaction me donne à penser qu’il pourrait peut-être cacher une dimension autobiographique, une manière de se débarrasser d’une honte, d’une culpabilité et ainsi donner à l’écriture une dimension exorciste. J’ai beaucoup réfléchi, à titre personnel, sur cette fonction qu’on prête à l’écriture, comme si poser des mots sur d’éventuels maux pouvait suffire à les guérir. Je n’en suis plus très sûr aujourd’hui et le remords me paraît devoir survivre au baume supposé des mots. Le film qui s’en inspire a consacré la frêle silhouette d’Isabelle Huppert  d’ailleurs primée au Festival de Cannes 1977 qui incarne parfaitement Pomme.

J’ai apprécié cette relecture parce que le style de Pascal Lainé est fluide et agréable à lire. J’observe d’ailleurs qu’il est quelque peu différent dans sa composition, plus classique, plus suave de celui qu’on rencontre sous la plume des auteurs d’aujourd’hui. C’est là une simple constatation et l’écriture doit elle aussi évoluer, être en phase avec son temps. Il change et elle en est le miroir. Cinquante ans (déjà) sont passés depuis ce prix prestigieux et la façon d’écrire était différente.

 
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