compromis
- Par hervegautier
- Le 12/05/2019
- Dans Philippe Claudel
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La Feuille Volante n° 1349 – Mai 2019.
Compromis – Philippe Claudel – Stock.
Denis, la trentaine, comédien raté à tête patibulaire, veut vendre son vieil appartement et pour signer le compromis de vente, a demandé à son ami Martin, dramaturge sans succès, d'être présent pour rassurer l'acheteur. La conversation débute entre eux au sujet du débat Giscard-Mitterand avant les élections présidentielles de 1981 et les espoirs qu'elles suscitent, se poursuit sur eux-mêmes, sur leur métier, leurs petits travers, leurs difficultés et bien sûr leurs échecs. Avant l'arrivée de Duval, l'acquéreur, Martin passe l'appartement au peigne fin et donne son avis à Denis, sans lui faire beaucoup de cadeaux. En réalité, avant même que commence la visite des lieux, c'est à un véritable duel entre les deux « amis » auquel nous assistons, un de ces règlements de compte entre deux authentiques losers, deux « bobos » de gauche, où l'on déterre des vengeances accumulées et des haines recuites, et quand Duval arrive cela ne fait qu'empirer au point que ce dernier se demande ce qu'il est venu faire là. Quant à être rassuré, c'est autre chose ! Duval semble, au début, entrer dans ce jeu un peu bizarre et même prendre plaisir à cet étrange échange, mais cela ne dure qu'un temps et le lecteur n'est pas au bout de ses surprises …
Ici, Phillipe Claudel abandonne la poésie et l'émotion que j'ai tant appréciées dans certains de ses différents romans mais ne se départit pas d'un certain regard critique jeté autour de lui sur la société des hommes. Dans cette sorte de mise en abyme, c'est l'amitié, même vieille, qui en prend pour son grade et l'auteur, du moins en apparences, donne un coup de grâce à ces liens qu'on prétend artificiellement indestructibles. On se dit des vérités, on s'accuse mutuellement. A cette occasion il ne manque pas de dénoncer l'hypocrisie en général qui habille beaucoup de nos actes et pendant qu'il y est, le mariage, l'amour, y passent aussi sans oublier la solitude, le mensonge, l'imaginaire, le monde des écrivains, celui de l'édition (« Beaucoup d'immenses génies ont d'ailleurs un jour renoncé à publier. Toute publication engendre d'insupportables malentendus ») et même celui du public pourtant indispensable à qui fait profession d'écrire et qu'il traite bizarrement(« Le public, de roman ou de théâtre, est généralement idiot. »). Il n'oublie personne et logiquement ce pauvre Duval, franchement déstabilisé, a droit lui aussi aux critiques. Au long de cette histoire, d'ailleurs brève mais intensément électrique, le terme « compromis », d'emblée dédié à une vente immobilière, prend un tout autre sens et on se demande si tout cela ne parle pas tout simplement du quotidien, de la vie et surtout de la politique, de celle de Mitterrand en particulier.
C'est jubilatoire , humoristique mais aussi grinçant tant les protagonistes sont changeants et il n'y a pas que ce pauvre Duval qui est malmené, le lecteur-spectateur l'est également, les romans de Claudel ont toujours un petit côté dérangeant.
D'ordinaire, je suis peu friand de la lecture de pièces de théâtre, préférant de loin les voir mises en scène. Ici, les détails notés entre les phases du dialogue donnent une petite idée du jeu des acteurs et on imagine Pierre Arditi, Michel Leeb et Stéphane Pézerat se donnant la réplique avec gourmandise. Cette pièce a été créée en Janvier 2019 au « Théâtre des Nouveautés » dans une mise en scène de Bernard Murat.
©Hervé Gautier.
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