Philippe Collin
-
Le barman du Ritz
- Par ervian
- Le 11/08/2025
- Dans Philippe Collin
- 0 commentaire
La Feuille Volante - N° 2003 – Août 2025.
Le barman du Ritz -- Philippe Collin – Albin Michel.
Étonnante histoire que celle de Frank Meier (1884-1947) prolétaire autrichien qui rêvait de l’Amérique comme d’un pays de cocagne qu’il rejoignit seul à quatorze ans pour échapper à la misère. C’est à New York, après avoir connu la précarité qu’il se retrouve à Broadway apprenti barman, s’initie à l’art de mélanger des alcools et revient à Paris où la bonne société avait pris goût aux cocktails. Il participe à la Grande Guerre comme légionnaire au service de la France dont il acquiert la nationalité et se retrouve barman au Ritz après la victoire de l’Allemagne nazie, adulé par les officiers de la Wehrmacht qui, friands de son talent en mixologie, n’ont jamais su qu’ils étaient servis pendant toute le durée de la guerre... par un juif .
Durant l’Occupation, dans ce mythique palace parisien de la Place Vendôme, se sont côtoyés dignitaires nazis, pétainistes, collabos, résistants, espions, voyous, trafiquants mais aussi figures du tout Paris comme Coco Chanel, Arletty, Sacha Guitry ou Jean Cocteau. A cette époque surréaliste cohabitent quelques juifs craignant la dénonciation mais pour qui le Ritz est une couverture et des célébrités parisiennes qui profitent du luxe recherché par l’occupant . Au bar officie cet ashkenaze cultivé, prévenant et attentif aux moindres désirs de sa clientèle célèbre, concoctant pour elle à l’occasion des recettes originales tout en préservant son secret qui est aussi son assurance-vie et veillant sur Blanche Auzello, la sublime reine du Ritz , une juive américaine, alcoolique et morphinomane dont il est secrètement amoureux et qui a réussi grâce à un changement de papiers d’identité et à son mariage avec Claude Auzello ancien directeur du palace et chargé de l’approvisionnement de l’établissement, à cacher ses origines. Il y côtoie des officiers allemands de haut rang, avec le fantômes de Scott Fitzgerald et d’Ernest Hemingway, s’active dans de petits trafics, dans de lucratifs faux papiers, commissions ou pourboires et dans de grands engagements au service des familles juives en fuite ? tout en inventant chaque jour plus de recettes de cocktails qui ravissent ses fidèles habitués. Une hypocrisie difficile à supporter..
Il réussi à survivre à cette période troublée ou le faste côtoie la tragédie et pendant laquelle la table du Ritz regorge de plats somptueux, de vins millésimés et d’alcools d’exception quand, à l’extérieur, les Français vivent dans la violence, la trahison et crèvent de faim et que les juifs sont parqués au Vél’ d’Hiv’. Il reste un exilé de son propre pays et de son milieu social car, il le sait, il ne fera jamais partie de celui de ses clients et les circonstances le mettent en permanence au bord du gouffre, avec ses doutes, ses secrets et son immense solitude.
Il s’agit du premier roman de Philippe Collin, producteur à France-Inter, auteur d’essais et scénariste de bandes dessinées. J’ai apprécié ce livre où la fiction se mêle intimement à la réalité historique et l’ai lu sans désemparer tant l’auteur sait s’attacher son lecteur dès les premières pages avec un style à la fois alerte et passionnant.