la feuille volante

Col de l'ange

La Feuille Volante n° 1273

Col de l'ange – Simonetta Greggio - Stock,

 

D'emblée l'auteure nous rappelle une évidence. Nous ne sommes que les usufruitiers de notre propre vie et celle-ci peut nous être enlevée dans préavis, La mort fait partie de la vie et elle interviendra de toute manière même si nous faisons semblant , au cours de notre passage sur terre, d'oublier cette vérité.

 

Que me reste-t-il de ce roman lu sans désemparer tant il est poétique et émouvant ? Le narrateur, Nunzio, architecte parisien célèbre, homosexuel de 46 ans, est mort assassiné par l'intolérance et la haine de la différence. Il est absent depuis 17 jours, abandonnant derrière lui chantiers, projets et plans inachevés, laissant Ami, son amant et Blue, une cover-girl, son amie d'enfance, sa presque sœur jumelle, sans lui. Ce texte, c'est comme une sorte de message qu'il adresse à cette amie depuis un au-delà hypothétique où il flotterait comme un ange et qui verrait tout ce qui se passe dans notre pauvre monde. Il l'accompagne dans ses démarches de recherches, ses vains espoirs sans pouvoir rien faire pour l'aider. Blue, qu'enfant on appelait Nine, revient, bouleversée sur les traces de cette enfance enfuie peut-être pour retrouver Nunzio, peut-être pour exorciser cette période de la vie qui est unique et qu'on n'oublie jamais, dans leur village natal au Col de L'ange. Elle y vient avec cet espoir fou qu'il sera à ce rendez-vous parce que c'est ici et nulle part ailleurs qu'elle le retrouvera ; C'est Nunzio qui, par un artifice qui n'existe dans dans les romans et peut-être dans l'imagination intime, la guide dans l'exploration de ce passé encore chaud avec ses bons et ses mauvais moments. On y refait à l'envers un chemin qui parfois nous donne des frissons et souvent aussi le vertige, tant on peut regretter d'avoir fait quelque chose qu'on n'aurait pas dû faire et qui a décidé de notre avenir, entre liberté individuelle et destin implacable. C'est cette période un peu surréaliste où l'on croit aux fées et aux lutins et où on fait sur l'avenir des plans qui ne se réaliseront jamais. C'est l'enfance qui lui revient en pleine figure avec son insouciance mais aussi les émois de l'adolescence, les vacances d'été et les senteurs de l'automne… une amitié complice qui se jouait des différences sociales, une période de la vie qui se termine et une autre qui commence avec ses espoirs et ses doutes, un départ inévitable vers un ailleurs mystérieux, une carrière brillante pour Nunzio, la beauté de Nine qui enflammait déjà les adolescent du village et qui, devenue Blue, suscita, sur papier glacé, les fantasmes de tant d'hommes… Ce qu'elle retrouvera sur ces terres d'enfance est à la fois inattendu, lié à la mort qui a pointé le bout de son nez mais s'est éloignée pour cette fois, scellé à la vie qui continue son cours inexorable avec ses projets et ses certitudes, mais aussi peut-être guidé par la main de Nunzio venue d'outre-tombe. Pour ça il suffit d'y croire, de s'approprier cette chance qui est parfois si parcimonieuse qu'on hésite à la saisir. Mais il reste vrai qu'on va toujours rechercher ailleurs ce qu'on a chez soi en perdant un temps précieux, en brassant inutilement de l'air et en tirant d'improbables plans sur la comète.

 

Il y a aussi cette vérité, quand quelqu'un meurt, ceux qui l'aimaient restent avec lui par la pensée. C'est, pour les vivants, l’ultime manière de les faire revivre, de faire semblant qu'ils ne sont pas morts, c'est cette certitude de les voir partout, dans les animaux qu'ils ont chéris, dans les objets qu'ils ont touchés, dans les lieux qu'ils ont habités au point que cela se transforment en hallucinations, l'impression qu'ils nous guident et nous inspirent, qu'ils sont devenus encore plus une part de nous-mêmes, une présence malgré l'absence, qu'ils se sont transformés en une sorte de médiateurs  entre le monde des vivants et celui des morts;

 

Je l'ai déjà dit dans cette chronique, j'aime beaucoup le style de Simonetta Greggio, cette Italienne qui écrit si bien en français. J'ai goûté ces portraits dessinés par petits touches à la fois précises et subtiles, pleins de détails, baignés et parfois abîmés par temps qui s'écoule aussi inexorablement que le sable qui s'échappe d'un poing fermé. J'ai apprécié également, dans un autre contexte son implication dans son difficile travail de romancière-documentaliste (« Les nouveaux monstres » - La Feuille Volante N°999), explorant les méandres du pouvoir politique italien et sa collusion avec la Mafia.

 

 

© Hervé GautierAoût 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]

 
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