la feuille volante

Chansons espagnoles

  • El BUSCÓN

     

    N°559 – Mars 2012

     

    El BUSCÓN – Francisco de Quevedo – Éditions Sillage.

    Traduction de Rétif de la Bretonne.

     

    Le titre tout d'abord « el Buscón », vient du verbe espagnol buscar qui signifie chercher. On pourrait donc traduire ce nom par « celui qui cherche, le chercheur » mais il serait plus pertinent de lui préférer « le filou », bien plus dans l'esprit du roman picaresque car c'est bien dans ce courant et dans la continuité de « La vie de Lazarillo de Tormes » que s'inscrit cette œuvre de jeunesse écrite probablement vers 1603. (sur ce récit et sur le roman picaresque en général, voir la Feuille Volante n°558).

     

    Le sous-titre espagnol de ce roman est plus explicite puisque qu'il précise qu'il s'agit de « [l'] histoire de la vie du filou appelé Don Pablo, exemple de vagabond rusé ». Il s'agit de l'unique roman de Francisco de Quevedo y Villegas [1580-1645], écrivain baroque du « siècle d'or » espagnol, contemporain de Cervantès, érudit, homme d'action, polémiste et humaniste. L'auteur y raconte l'histoire de ce Don Pablo, fils d'un barbier dont l'honnêteté douteuse le fera mourir sur l'échafaud pour vol et d'une mère tout aussi peu recommandable emprisonnée pour sorcellerie. Très tôt il est mis au service de Don Diego, un fils de famille qui l'emmène avec lui à Alcalà de Hénarès pour y étudier. Pourtant, loin de profiter de cette occasion pour être plus instruit et devenir meilleur, il préfère la situation de voleur et d'escroc, ce qui fait de lui un fugitif particulièrement apte à duper ses contemporains, n'hésitant pas à se déguiser pour cela en mendiant, en comédien ou en homme d' Église, à se dire noble ou dévot, à changer de nom pour exercer sa vrai profession d'aigrefin itinérant. Il est vrai qu'au début de sa vie, il fut lui aussi abusé par ses professeurs et retint d'eux surtout cette leçon.

     

    Au lieu d'étudier, il a choisi une vie d'errant qui lui convient parfaitement et la liste est longue des compagnons avec qui il s'acoquinera volontairement, chacun d'eux ayant sa spécialité pour extorquer de l'argent au pauvre monde, jouant alternativement sur l'hypocrisie, le mensonge, la charlatanerie, la séduction, le vol... Il donne lui-même à son lecteur des conseils avisés pour tricher au jeu. Bien sûr, à vivre ainsi, Don Pablo tâte des prisons du royaume mais trouve toujours le moyen d'en sortir par ruse.

     

    Il s'agit donc d'un récit humoristique plaisant à lire parce que admirablement traduit par Rétif de la Bretonne. Bien qu'il s'inscrive dans le courant picaresque, l'auteur cherche moins à condamner des actes répréhensibles qui mériteraient une punition qu'à distraire et amuser ses lecteurs. D'ailleurs nombres d'actes condamnables, perpétrés par Don Pablo, restent impunis et on cherchera vainement une fin moralisatrice à ce récit. Pourtant, il n'échappera pas au lecteur attentif que Don Pablo tente quand même de s'évader de sa condition, notamment par un riche mariage, et, peut-être, de s'améliorer, mais il échoue dans toutes ces entreprises qui peuvent passer pour des tentatives avortées d'ascension sociale parce que la malchance le poursuit. Pourtant, si on en juge par la lettre qu'il laisse à son oncle, bourreau à Ségovie, il veut à la fois oublier sa famille et poursuivre son errance parasite et fructueuse. En tout état de cause un roturier ne pourra jamais devenir noble ce qui est bien dans l'esprit du roman picaresque. A la fin, il tente de partir pour l'Inde et ainsi de refaire sa vie mais l'auteur nous laisse à penser qu'il échoue également dans cette entreprise. Tout au plus conclue-t-il lui-même « qu'il ne suffit pas à l'homme de se transplanter pour que son état se bonifie; il faut encore qu'il change de vie et de mœurs, quand elles son dépravées et changer est une chose presque impossible à l'homme familiarisé avec le crime, et qui s'y endurci » sans qu'on sache très bien s'il s'agit là d'amères regrets, d'une leçon temporaire dont évidemment il ne tirera aucun profit ou une ultime pirouette...

     

    Dans ce récit, Quevedo ne manque pas de faire des réflexions aigres sur le monde qui l'entoure, de se moquer de la société de son temps, les intellectuels comme les ecclésiastiques, les charlatans comme les gens du peuple et des nobles ruinés. C'est donc aussi une critique sociologique qui nous est offerte sous couvert d'une présentation résolument comique.

     

    Le style de ce roman est baroque, notamment dans les descriptions qui sont faites où tout est poussé à l'extrême et caricaturé [notamment quand il nous livre avec force détails la description des artifices employés pour masquer la pauvreté de la vêture faite de pièces de vêtements mille fois ravaudés]. Les pérégrinations de Don Pablo sont, l'occasion pour le lecteur de connaître une société interlope où la pauvreté n'a d'égal que la débrouillardise pour la camoufler. D'autre part, l'auteur n'hésite pas à utiliser les jeux de mots et des expressions savoureuses [Don Pablo indique, non sans humour que son père sortit de prison « avec tant d'honneurs qu'il était accompagné de de deux cents cardinaux que l'on ne traitait cependant pas d'éminence »,désignant ainsi les traces laissées sur sa peau par les coups de fouet qu'il avait reçus en prison et qui rappelaient par leur couleur la robe des cardinaux].

     

    Cette œuvre rencontrera un grand succès lors de sa publication et sera traduite dans différentes langues mais il semblerait que Quevedo ait nié sa paternité à cause sans doute de l'Inquisition.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER - Mars 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • POEMES DE CARAMBELU - Un disque de MESTURA [Marisa López – Luis Suáres] - Pintar Editorial.

     

    N°306 – Juillet 2008

     

    POEMES DE CARAMBELU - Un disque de MESTURA [Marisa López – Luis Suáres] - Pintar Editorial.

     

    Quelqu'un a écrit un jour, je crois que c'est Antoine de Saint Exupéry, « Les adultes sont d'anciens enfants, mais très peu s'en souviennent ». Pourtant, les poètes ont cette faculté émotionnelle de faire revivre cet âge de la vie dont la plupart d'entre nous portons la nostalgie voire le deuil, une période sans retour qui conditionne tellement ce que sera notre parcours futur dans cette existence terrestre.

     

    C'est tout cet univers insouciant et merveilleux qui sous la plume de Marisa López ressuscite pour le témoin attentif de ces poèmes où Louis Suárez a accroché les notes de sa guitare, un décor onirique ou un rêve éveillé, qu'importe, un autre monde en tout cas où les personnages sont des pies voleuses [Xujando al cascayu], des brebis blanches qui président au sommeil[Cuatro oveyines blanques], des araignées tisseuses de filets [Pela maňana bien ceo], des chats gourmands de nougats [El gatu], des écureuils joueurs [Los esguilos] ou de girafes qui tutoient les nuages [Les xirafes].

     

    Le rideau de scène qui leur sert de décor est fait de reflets d'arcs en ciel, de ciel nocturne constellé d'étoiles, de lune d'argent, d'éclaboussures d'écume...

     

    Ce sont des poèmes d'adulte qui parlent aux enfants qui ne veulent pas aller à l'école et sont attentifs aux palabres d'une pendule qui ne donne jamais la bonne heure [Mio güela tenia un reló], où le cerf-volant ressemble à la lune [La sierpe] où les escargots n'aiment pas forcément la pluie [El cascoxu coxu], où les écureuils espiègles jouent aux billes [Los esguilos] où les grenouilles chantent et font des bulles de savon [La xaronca].

     

    Ces enfants ne veulent pas grandir et l'auteure nous offre un moment de rêve, nous invitant à nous installer avec elle dans un paysage d'exception, à en prendre notre part, à en être l'invité, le spectateur et donc a ouvrir notre imaginaire. N'hésitons pas!

     

    Le bestiaire se prête particulièrement bien à cette évocation parce que le monde de l'enfance et celui des animaux sont comme complémentaires et les acteurs évoqués dans ces poèmes deviennent les complices de cet univers.

     

    Le dernier poème me plaît particulièrement parce qu'il s'adresse à un enfant et parle de lui au moment où il s'endort. Comme l'enfance, le sommeil est un monde merveilleux auquel il s'apparente un peu. Là tout devient possible et tout ce qui est interdit ou impossible dans la vie courante devient tout à coup réalisable. Cet impalpable décor s'anime dans un ailleurs d'exception qu'on oublie sitôt le réveil et qui se dissout dans le présent sans que la mémoire puisse en garder l'exact souvenir. Paysages et décors transitoires...

     

    Comme le rappelle le dernier poème « Les chansons de ce disque sont des chansons pour s'évader et pour jouer, pour dormir ou pour rêver, pour imaginer ou pour s'amuser...Ce sont des chansons qui cheminent de par le monde de la fantaisie et du rêve, des chansons douces et de toutes les couleurs, comme des caramels »

     

    La rencontre d'un talent est toujours un moment fort dans une vie, surtout si ce dernier a plusieurs facettes. J'avais déjà eu l'occasion de saluer dans cette chronique l'existence du premier disque de ce groupe [la Feuille Volante n° 273 – Juin 2007]. Le second me paraît également digne du plus grand intérêt.

     

    © Hervé GAUTIER – juillet 2008.http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg 

  • AGUA DEL NORTE – un disque de MESTURA [Marisa López et Luis Suáres].

     

     

    N°273 – Juin 2007

     

    AGUA DEL NORTE – un disque de MESTURA [Marisa López et Luis Suáres].

     

    Terres asturiennes, de vents, de pluies et de montagnes, de tempêtes et de labeur, loin des clichés espagnols pour touristes avides de soleil et de farniente. Printemps 2007, dans une salle à la chaleur moite, à Gijón... Dehors, il pleut, une pluie froide qui ailleurs dévaste le pays... Un après-midi presque désœuvré que quelques notes de guitare, d'accordéon et une voix vont illuminer. Un CD, cercle de plastique argenté aux reflets d'arc en ciel qui nous renvoie à la fois notre propre image et nous invite à l'ailleurs, au voyage, à la découverte, paroles et musique gravées , je l'ai rapporté avec moi, en France.

     

    Agua del Norte”[Eau du nord], pluie de cette région atypique où l'on joue de la cornemuse et où l'on boit du cidre, où la couleur dominante est le vert où les embruns atlantiques vous débarbouillent le visage de leur écume salée, où les vagues s'écrasent contre une grève déchiquetée par la violence des éléments, face à la mer et à son voyage incertain d'anciens émigrants porteurs de rêves, d'espoirs et de futur...

     

    Et puis, par le miracle à chaque fois renouvelé et à chaque fois plus étonnant des mots, la poésie s'installe plante petit à petit un décor, les couleurs et les sons, tissent un ailleurs de leur trame légère et intemporelle, libèrent l'accès à un univers différent, d'autant plus inattendu qu'il surprend l'auditeur distrait, en fait un témoin attentif, oui, “les mots sont des ponts qui traversent le monde” comme l'indique l'exergue.

     

    Les souvenirs s'avivent, la mémoire des choses revient, parfois triste, parfois pleine d'espoirs, comme les gouttes de cette pluie coutumière du pays asturien. Les notes de la guitare élégante de Luis, la voix envoutante de Marisa qui les module, en soulignent la musique, les silences, les regrets, les remords...le son du violoncelle qui évoque si bien le vent du large ... bouquet d'instants privilégiés!

    Le poème est toujours le témoin d'une émotion et l'amour y est à la fois merveilleux et plein de douleurs muettes[Un día de febrero], moments d'extase et regrets du temps qui passe et ne revient jamais. Les mots sont des jalons dans nos vies, en portent la mémoire [La sombra de tu sueňo]. Le mot “rêve” revient souvent, comme pour nous rappeler qu'il nous aide à vivre, à nous projeter dans cet avenir qui porte l'existence, à sortir d'un quotidien morne, parce que cette vie n'est bien souvent faite que de choses fragiles [Corazón negro] dont l'équilibre instable n'est maintenu que par sa force d'attraction qui, nous étant prêté temporairement, nous révèle une autre notion plus acceptable du monde [Que amanezca otra vez]. L'amour transforme notre quotidien comme les gens qui l'inspirent [Quiero nomate], et son alchimie secrète et magique à la fois nous étonne, nous fascine à chaque fois.

     

    Dans les textes autant que par la musique, l'aspect éphémère des choses est souligné [Lladrones de suaňos], soulignant la contingence des choses, leur précarité face au temps qui passe et qui détruit tout, jusqu'aux certitudes les plus établies. Cette fragilité est partout évoquée [Isla] dans la solitude et le son de la voix, aussi fuyant que le vent.

     

    Même si chaque jour est une miracle, la nostalgie imprime inévitablement sa marque dans les larmes qui coulent des yeux, perles de pluie, traces de sel, qui impriment sur le visage sa cicatrice pérenne, y creuse parfois des rides. Les rêves sont fragiles qui habitent les nuits autant que l'imaginaire éveillé, mais ils entretiennent la vie, la barbouille de bleu et de soleil, comme la géographie maritime de cette contrée, comme tous les fantasmes humains... On en guérit, on les garde en soi comme un souvenir, comme un trésor ou comme une cicatrice. Ils font partie de nos vies, de notre parcours en ce monde, ils sont nos repères, moments douloureux parfois qui nous rappelle que rien n'est jamais définitif, que chaque jour est une remise en question[Un día des febrero].

     

    Nos auteurs ajoutent que ce disque a été une belle aventure. Je veux le croire puisque chaque chanson témoigne d'eux-mêmes, de leur vie, porte témoignage d'un moment intime et priviligié...

     

    Le partage n'est pas absent de leur démarche puisqu'ils précisent au témoin attentif de leur créativité « Si tu ries, si tu pleures, si tu es capable d'émotions, si tu le sens, si tu luttes, si tu partages, si tu donnes, si tu sais recevoir, si tu rêves, si tu crois que chaque jour est un miracle, ce disque tout entier t'est destiné. ».

     

    Ce texte en forme d' envoi prend en quelque sorte congé de chacun d'entre nous, l'invitant à leur rendez-vous intime du poème, chaque fois que le besoin s'en fera sentir.

     

    Ce message-là, habillé de mots précieux, serti dans une musique chaude et une voix fascinante , je l'ai goûté loin des Asturies, dans un autre pays de pluies et de verdure, gravé sur un disque argenté, et je m'en suis trouvé bien!

     

    © Hervé GAUTIER - juin 2007

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