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la feuille volante

LA NUIT DES JUGES[ Les nouvelles enquêtes du juge Ti, Vol 2]. Frédéric LENORMAND - Fayard

 

N°309– Août 2008

LA NUIT DES JUGES[ Les nouvelles enquêtes du juge Ti, Vol 2]. Frédéric LENORMAND - Fayard

Or, le juge Ti s'ennuie dans sa ville de Peng-Lai! La routine administrative, l'ordre public assuré, voire l'apathie générale de cette cité portuaire, en cette année 664 ne valent rien à notre sous-préfet qui se morfond et songe au pire. Heureusement, on le convoque au siège de la Préfecture sans plus de précisions, ce qui nourrit un temps son imagination. Cela lui fera au moins un semblant d'activité!

Comme nous le savons désormais, le juge Ti est non seulement un pourfendeur du vice, un défenseur de la morale, de la loi et de la sécurité publique mais c'est aussi un fin observateur de ses contemporains. Ici, cette convocation de six autres magistrats à Pien-Fou, ville d'eau et de tranquillité, a en réalité pour but de nommer l'un d'entre eux à un poste prestigieux et prometteur dans cette même ville. C'est non seulement l'occasion d'une galerie de portraits haute en couleurs et en variétés mais surtout une peinture fine d'une société bien différente de celle que Ti à l'habitude de côtoyer, c'est à dire celle des truands et des malfrats. On ne s'attend pas, en effet, de la part de mandarins qui sont de fins lettrés et dont la tâche est de punir les citoyens dont ils ont la charge au nom de la loi et de l'Empereur, à les voir se livrer à des mesquineries, des délations, des infamies, des mensonges, des perfidies pour discréditer leurs concurrents et ainsi se voir nommer à leur place. Et de noter avec pertinence «  Cette compétition feutrée ne rehaussait pas l'opinion qu'on pouvait avoir de l'humanité administrative »,les petits travers de la condition humaine ne connaissant ni frontière, ni époque, ni classe sociale. Dès lors tous les coups sont permis au point qu'un juge trouve la mort dans ce qui ne peut pas être un banal accident. Mais Ti est d'une autre trempe, et cette mort, si elle bouscule un peu les choses, décourage la sagacité de l'ensemble des autres magistrats. C'est donc à lui qu'on confie hypocritement l'affaire, et notre auteur de noter « Il avait certes un penchant naturel à se jeter la tête la première dans toutes les énigmes qui se présentaient, mais la simplicité avec laquelle ses éminents confrères se déchargeaient sur lui blessait son amour-propre » C'est que, pour obtenir ce poste tant convoité tous les coups sont permis. Les choses se compliquent un peu quand le préfet déclare qu'il sera attribué à celui qui résoudra cette affaire. Notre magistrat se sent soudain bien seul d'autant qu'il a à faire face à la fronde de ses chers confrères. Dès lors, chacun s'affaire, à son rythme et selon sa méthode, la perspective d'une prochaine nomination ainsi mise en compétition étant de nature à motiver les candidats.

Ti, en bon enquêteur flaire une supercherie, mais, goûtant peu ce genre d'humour de la part de sa hiérarchie, il va, lui aussi, entrer dans le jeu, mais à sa manière. Cela a au moins l'avantage de l'occuper un peu et de tromper son ennui, ce qui ne l'empêche pas d'accumuler des indices sur ses chers collègues et de déjouer les pièges qu'ils lui tendent, de sorte que chacun devient, nonobstant sa qualité de magistrat, un meurtrier potentiel et ce d'autant que, chacun espionnant l'autre, tous les juges se retrouvent virtuellement au banc des accusés... pour leurs confrères, évidemment. Et, pour aggraver encore la situation, et comme si le sort avait décidé de désigner le lauréat par défaut, voilà qu'un deuxième magistrat, qui était pressenti pour ce fameux poste, est retrouvé assassiné allongeant la funeste liste. Cela commence à faire beaucoup pour un ville paisible! De plus, Ti fait figure de suspect idéal pour les autres mandarins qui n'ont pas, cela va sans dire, sa rigueur intellectuelle. C'est bien de cela dont il se sert pour découvrir la vérité qui se dérobe rarement devant lui. Il observe avec curiosité les travers et les turpitudes de la communauté humaine, raisonne, suppute, imagine, compulse dossiers et archives, n'hésite pas à remettre en question les apparences les plus établies et rien n'échappe à sa perspicacité [je soupçonne un peu l'auteur de mettre dans la bouche de Ti des remarques qui lui sont personnelles, mais, si cela est, je ne saurais lui en vouloir!].

Bref, dans cette « ténébreuse affaire », notre sous-préfet ne se laissera pas abuser et les choses reviendront à leur vraie place, celle qu'elles n'auraient jamais dû quitter si les hommes avaient été aussi vertueux que notre juge, même si elles empruntent un peu à l'hypocrisie pour que soient maintenus l'ordre social, la paix publique, la sérénité de la justice et la respectabilité de ceux qui sont chargés de la rendre. Pour la nomination, on fera prévaloir l'opportunité sur la compétence, comme souvent! Ti est malgré tout satisfait de sa démonstration, mais, je ne peux pas ne pas l'imaginer un peu frustré, lui qui n'avait rien sollicité mais qui aurait bien aimé une promotion prometteuse dans cette bonne ville de Pien-Fou. Il se voit payé de belles paroles de prédictions somptueuses, mais est renvoyé à Peng-Lai où il retrouvera son ennui, ses fonctions, sa famille et ses méditation sur cette société des hommes dont il doit combattre les perversités, même si elles se manifestent d'une manière inattendue. Il est aussi un bon philosophe, c'est à dire un peu fataliste, puisque notre auteur note avec pertinence «  Ti se réjouit de sa médiocrité, qui le préservait des grandes tentations comme des grands vices, et repartit le coeur léger vers sa petite bourgade côtière qui lui paraissait soudain si pleine de ressources à sa mesure. »

j'apprécie toujours Frédéric Lenormand dont je lis les oeuvres avec gourmandise. J'ajoute que dans ce roman, comme dans tous les autres, le lecteur apprend beaucoup de choses sur la civilisation, sur les coutumes ou sur le droit chinois... Ce que j'attends d'un livre, même d'une fiction, c'est certes d'être bien écrit, emprunt d'un humour jubilatoire, de m'inviter au rêve et au dépaysement, mais aussi qu'il soit bien documenté. Je dois dire que je suis pleinement satisfait. C'est là une marque de respect du lecteur que j'ai plaisir à souligner ici.

© Hervé GAUTIER – Août 2008.
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