la feuille volante

Valentine Pacquault

 

N°549 – Décembre 2011

 

VALENTINE PACQUAULT– Gaston CHERAU. Plon (1921)

 

Pas très chanceux François Pacquault ! Orphelin de père de bonne heure, c'est à la mort de sa mère, âgée de 27 ans qu'il fut confié, encore enfant, au « ménage » de trois vieille filles, Solange, Célina et Amélie Carignan qui tenaient un pensionnat à Argenton (Creuse). C'est dans ce gynécée un peu étouffant de province que François, leur neveu, va vivre jusqu'à son baccalauréat parce que c'est tout ce qui lui restait de sa famille. Elles l'ont littéralement couvé mais arrive le temps de son service militaire qu'il doit accomplir, pendant 3 ans, à Saint-Léger, une ville de garnison dans le département des Deux-Sèvres. Mais les choses se précipitent et, à cause de la banqueroute frauduleuse d'un notaire d'Argenton, les demoiselles Carignan doivent réduire leur train de vie... et marier François au plus vite, de préférence à un beau parti. Leur choix se porte sur Valentine Delpérrier, ancienne pensionnaire de l'établissement Carignan et François en tombe tout naturellement amoureux. Les voilà donc mariés et lui affecté, comme 2° classe dans ce régiment d'infanterie.

Sitôt arrivée dans cette ville de province, Valentine qui déjà s'y ennuyait, veut faire la grande dame, dépense sans compter, veut être entourée d'officiers, être la reine des fêtes qu'on donne, des bals de garnison où elle se rend seule, à cause du grade de son mari. De son côté, François qui manifeste peu de goût pour la vie militaire doit se tenir en retrait des plaisirs de son épouse, est cependant en butte aux critiques et aux moqueries des hommes du rang dont il fait partie. Sans peut-être que François s'en rende compte, le fossé se creuse entre Valentine et lui, sa jalousie s'installe, durable. De son côté, Valentine se laisse entrainée dans une passade amoureuse dévastatrice avec le lieutenant Tassard, un compatriote de la Creuse, un rustre qui pourtant séduira Valentine et détruira son ménage. Elle ne l'aime pas mais c'est lui qui lui fait découvrir ce qu'elle ne connaissait pas avec son mari : le plaisir des sens ! Elle souhaite donner le change pour le monde extérieur mais c'est vers lui qu'elle se sent attirée, c'est lui qui lui permet de se révéler comme une femme sensuelle qui aimait les hommes et l'amour, une femme mariée qui aimait « avoir un amant »... pour son malheur ! Cette liaison donne l'occasion à l'auteur de se livrer à une analyse psychologique très fine des personnages. Il se révèle encore une fois comme « le brillant analyste de l'âme féminine ». L'indélicatesse du notaire, la mort de son mari, le départ de Tassard la précipitent dans la la précarité, la solitude et la prostitution.

 

Valentine Pacquault est un roman majeur dans l'œuvre de Chérau, un roman dur aussi, axé sur cette femme gourmande de vie, amoureuse éperdue de son amant, une sotte qui voulait s'élever dans l'échelle sociale, dût-elle pour cela détruire tout ce qui était bien autour d' elle , une égoïste détachée de François qu'elle n'aime plus et qu'elle considère presque comme son ennemi personnel. C'est un peu comme si elle voulait lui faire payer ces années de réclusion à la pension Carignan, sa jeunesse sacrifiée... François est quant à lui un peu naïf, niais, comme un enfant, peu préparé à ce mariage trop hâtif, mais surtout follement amoureux de son épouse pour qui rien n'est trop beau. Il ne voit rien de son propre malheur et submergé par la peine né de la trahison de Valentine ne trouve son salut que dans la mort. Son épouse, veuve à 22 ans l'oubliera vite, quêtera une consolation passagère et inefficace dans la religion, mais ce qu'elle recherchera surtout ce sera une relation avec les hommes qui pourrait lui procurer une forme de réussite sociale.

 

Il y a un personnage qui retient mon attention : c'est le capitaine de Millau. Il est à la fois protecteur du couple et paternel, un peu marginal, humain, philosophe, solitaire et érudit sous des apparences peu flatteuses... Il a beaucoup d'amitié pour François. Au fil des pages son portrait s'affine pour donner de lui, à la fin, sa véritable image. C'est par son entremise que François échappe à l'opprobre du suicide et peut être enterré en terre consacrée, c'est aussi grâce à lui, et malgré l'énorme différence d'âge, que Valentine reprend pied dans la vie quand les portes de Saint-Léger se referment devant elle, c'est aussi lui qui, bravant la morale et aussi sa propre conception des choses, l'arrache à la mort.

 

Le style de Chérau, ce sont des analyses pertinentes de ses personnages, des évocations agréablement poétiques, un zeste d'humour, une phrase toujours sobre et précise, finement ciselée et agréable à l'oreille, une musique....

 

J'ai vraiment pris plaisir à relire ce roman passionnant du début à la fin et qui évoque « Mme Bovary ». Il y a beaucoup de « parentés » entre ce roman et celui de Gustave Flaubert à commencer sans doute par l'analyse psychologique des personnages menée par l'auteur. Valentine est peut-être plus inhumaine qu'Emma, mais toutes les deux sont romantiques et s'ennuient dans cette province reculée. Elles ne trouvent leur salut que dans la relation avec un amant. Valentine, comme Emma, aime s'étourdir dans les soirées[ le bal du colonel ressemble à la réception chez le marquis de la Vaubyessard], toutes le deux ont épousé un mari falot qui est pourtant éperdument amoureux de sa femme et dans les deux ouvrages il y a un suicide [à celui d'Emma répond celui de François et Valentine y songe sans pouvoir le faire]. Le médecin-major du régiment s'exprime un peu comme Homais, mais le bon capitaine de Millaud assure par son humanité et l'amour qu'il porte à Valentine, une fin sinon heureuse, à tout le moins apaisée à cette triste histoire.

 

Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire dans cette chronique [la Feuille Volante n° 280-282-457], Chérau [1872-1937] reste malheureusement de nos jours un écrivain méconnu et injustement oublié, même dans sa ville natale.

 

© Hervé GAUTIER - Décembre 2011.

http://hervegautier.e-monsite.com 

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