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la feuille volante

L'arbre du pays Toraja

La Feuille Volante n° 1178

L'arbre du pays Toraja – Philippe Claudel – Éditions Stock.

 

Dès les premières lignes de ce roman il est question de la mort et de ce rituel observé au pays des Toraja en Indonésie où l'on confie la dépouille des jeunes enfants à un arbre particulier dont on creuse le tronc à cet effet et qui referme son écorce sur cette sépulture ainsi constituée et d'une certaine manière aussi se nourrit des défunts qu'on lui confie. Le ton est donné, Il sera donc question au cours de ces deux cents pages d'un thème tabou dans nos sociétés occidentales qu'on cherche à oublier toute notre vie et qui se rappelle cependant à nous périodiquement quand un de nos proches décède. Ce fut le cas du narrateur qui évoque le cancer de son ami Eugène, un producteur de cinéma, qui mourut peu après mais aussi la venue au monde de son enfant mort-né. Il réfléchit donc sur le sens de nos vies, des événements qui arrivent, voulus par nous ou gouvernés par le hasard, du temps qui passe et de ses ravages sur nous. Cette réflexion se décline à travers l'alpinisme, le vieillissement du corps qui débouche sur la douleur, la maladie et le trépas, comme un scénario écrit à l'avance et qui concerne chacun d'entre nous.

 

Bien entendu Philippe Claudel nous parle de lui, de ses origines modestes, de son travail d’écrivain et de cinéaste, de ses amours, de ses amis, cultivant le solipsisme, ce qui est normal pour un auteur qui puise dans sa vie la substance de son œuvre. Il évoque aussi cet Eugène, son ami, au moment où il ne fait plus partie du monde des vivants. C'est aussi pour lui l'occasion de méditer sur la mort, sur l'amitié, sur la vie, sur les vivants, ceux qui mangent, boivent, fument et font l'amour. Mais quid de notre corps qui nous accompagne durant cette période terrestre ? Quid des amours surtout quand ils unissent anachroniquement la vieillesse d'un homme et la jeune beauté d'une femme, qu'ils perpétuent ainsi un pieux mensonge qui construit un bonheur artificiel et bien entendu temporaire ? Nous ne sommes sur terre que de passage en espérant trouver pendant cet intermède un peu de bien-être et quand nous la quittons, la trace que nous y laissons, surtout si elle est artistique, est éphémère et confiée à la fragilité de la mémoire d'autrui, elle-même insérée dans la vie d'autres mortels. Le narrateur nous parle de son parcours professionnel, de cette femme plus jeune qu'il a rencontrée et qui partage désormais sa vie. Parfois, à l'occasion d'un mot ou d'un geste, sa première épouse s'invite entre eux, comme un fantôme discret et qui, malgré elle le convie à remonter le temps ce qui distille regrets et remords. Il parle de ses craintes pour l'avenir, de ses rides qui s'annoncent et de cette mort qui nous attend tous et dont nous voulons oublier la réalité.

 

Ces réflexions tissent ce roman qui devient au fil des pages et pour Eugène, cet arbre de Toraja qui garde son souvenir autant qu'il s'en nourrit. C'est aussi, non pas un devoir, mais un acte de mémoire pour cet ami disparu qui a joui de son séjour sur terre et qui, petit à petit se voit disparaître dans la maladie et la douleur. Et lui de rappeler Montaigne qui redoutait moins la mort que « le mourir », cette prise de conscience de ce passage de l'état d'être à celui de non-être, de cet abandon de quelque chose de connu et d'aimé, de ce saut dans le néant et qu'il était bon de s'y préparer car « philosophe c'est apprendre à mourir ». Les mots de Claudel portent le témoignage de cet ami, une manière aussi de dire à ses lecteurs que dans sa diversité la vie est unique et que l'amour que donnent les femmes l’illumine.

 

J'ai toujours plaisir à lire Philippe Claudel, de roman en roman. Ici, ce n'est pas un texte mortifère comme on aurait pu s'y attendre mais une réflexion bienvenue sur la vie, l'amour, l'amitié, le temps qui passe, tout ce qui concerne notre pauvre condition humaine.

 

 

 

© Hervé GAUTIER – Octobre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

 
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Commentaires

  • bibliblogueuse
    Je n'ai pas été aussi enthousiaste, j'ai trouvé ce roman inégal et trop tourné vers le nombril du narrateur, même si certaines pages sont vraiment très belles.

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