la feuille volante

La trace de l'ange


 

La Feuille Volante n° 1302

La trace de l'ange – Stefano Benni – Actes sud.

Traduit de l'italien par Marguerite Pozzoli.

 

Nous sommes à Noël et Morphée, huit ans, rêve devant la fenêtre à la neige qui tombe… En ce jour de joie il n'y a pas qu'elle qui tombe mais aussi une persienne, et sur la tête de ce petit garçon en plus, ce qui lui provoque une commotion cérébrale, une perte de mémoire et surtout une insomnie chronique que les remèdes peinent à guérir. Dès lors, toute sa vie va se résumer à la reconquête de ce sommeil, avec bien sûr la prise d'une foule de médicaments, la fréquentation des psychiatres, les hospitalisations… Le lecteur aura noté que ce n'est pas sans un certain humour que son nom est « Morphée » ! Il s'ensuit toute une séries de remarques, parfois acerbes, sur les comprimés et leurs effets, sur la confiance qu'on peut mettre en eux (nos amis Italiens appellent en effet la feuille explicative qui y est jointe « Il burgiardino » - le petit menteur!), sur la dépendance, l'addiction des malades, sur l'effet du sevrage, sur les psychiatres souvent plus attirés par l'argent que par leurs fonctions de soignants, sur leur diagnostic fluctuant et parfois carrément faux, surtout en ce domaine, sur la fidélité des couples, sur Dieu, sur la folie... Il me semble qu'il y a dans ce roman une chose intéressante qui est juste effleurée dans le titre. C'est celle de l'ange. Non seulement il incarne la pureté, la vertu mais il aussi évidemment une dimension religieuse de protection et de conseil (l'ange gardien). Ici, il perd cette caractéristique et ne devient plus qu'une éventualité, son intervention se transformant en possibilité(« Sa caractéristique c'est que, tantôt il vient, tantôt il t'abandonne. Ne jamais savoir s'il viendra : c'est cela l'essence, la trace de l'ange »). Cette dualité est d'ailleurs soulignée par la couleur de ses ailes qui, suivant les circonstances et les personnes qui l'incarnent, peuvent être blanches ou noires et dans ce dernier cas il est franchement maléfique. Il y a peut-être davantage : Quand Morphée entre dans l'hôpital qui doit le guérir et qui est à l'image du monde extérieur, l'ange n'a plus cette dimension de préservation et dès lors, un compagnon de chambre étant livré à lui-même se donne la mort par suicide ce qui formellement interdit par le christianisme. Le lecteur suit Morphée pendant toute son existence, il partage ses joies, ses peines, sa solitude, sa désespérance, ses rebellions, ses espoirs, sa peur de la vie et de la mort, ses obsessions subtilement suscitées par l'image d'un ange aperçu dans une ombre ou dans le prénom ou le nom des gens qui le côtoient. Cela devient une véritable angoisse. Pourtant, la maturité (ou la lassitude) venant, il décide de prendre sa vie en mains, de n'être plus la victime de ceux qui sont censés le soigner et il entre de lui-même dans une clinique, en réalité un autre enfer, qui commence dans l'univers confiné de la chambre 412 qui lui est attribuée. Ici se décidera son sort., guérison ou maintient définitif dans la condition de malade.

Les personnages qu'il croise sont nombreux, éphémères et chacun vient avec son voyage, ses fêlures, ses espoirs, ses déceptions . Puisque nous sommes dans l'imaginaire pourquoi ne pas y convoquer Van Gogh ou Moby Dick, oui, pourquoi pas ?

Avec ce court roman, en réalité une fable, Stefano Benni abandonne son humour habituel dont cette chronique s'est souvent fait l'écho. Je ne connais pas la biographie de l'auteur ni son parcours, mais il m'a semblé qu'ici il réglait des comptes, se livrait volontiers à une satire, comparant le microcosme de l'hôpital à la société qui traite différemment les pauvres et les riches qui devraient être égaux devant les soins comme ils le sont devant la maladie, s'attaque à l'industrie pharmaceutique, au corps médical qui devrait vivre son métier comme un sacerdoce mais au contraire en profite pour s'enrichir. Il dénonce cette « camisole chimique », véritable panacée, souvent préférée à la thérapie par la parole dans un monde où le stress est permanent. Mais après tout l'écriture sert aussi à cela, surtout dans l'univers apparemment irréel de la fiction, surtout si l'auteur en conçoit quelque chose d'agréable à lire. Son style est d'ailleurs particulier, fait de jeux de mots en italien qu'il n'est pas forcément aisé de traduire en français. Je me souviens avoir lu avec des amies des nouvelles de lui, dans le texte, et avoir franchement davantage ri à cette lecture qu'à celle du texte traduit. Je ne sais si c'est mon attachement à l’œuvre de Benni déjà largement commentée par mes soins, ou peut-être aussi à une certaine compréhension, voire à une communion avec Morphée, mais j'ai lu ce roman dans désemparer, autant pour en connaître l'épilogue que pour l'accompagner à l'envi dans les pérégrinations de son vécu.

Nous sommes dans une fiction où l'absurde, le hasard, l'inspiration, la fantaisie de l'auteur ou simplement la liberté des personnages ont leur place et où, bien entendu, tout est possible. Alors, supposons que tout cela n'est pas arrivé, que la persienne est bien tombée, mais qu'au dernier moment l'ange, toujours lui, mais dans sa version bénéfique, soit intervenu pour préserver Morphée, alors l'histoire est différente. Pourquoi pas ?

 

©Hervé GAUTIER – Décembre 2018.http://hervegautier.e-monsite.com

 
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