Quelques-uns des cent regrets
- Par hervegautier
- Le 30/10/2018
- Dans Philippe Claudel
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La Feuille Volante n° 1286
Quelques-uns des cent regrets- Philippe Claudel – Stock.
Le narrateur revient dans son village natal, après seize longues années d'absence, pour assister aux obsèques de sa mère. C'est évidemment pour lui l'occasion d'explorer les souvenirs de son enfance qui lui reviennent à la mémoire. Il revoit l'image de cette trop jeune fille qui avait déjà donné la vie avant même d'entrer dans l'âge adulte, qui avait, pour son fils unique, tressé l'histoire d'un impossible amour avec un aviateur de passage que la guerre lui avait enlevé mais dont la seule photo trônait dans sa chambre comme la marque de la fatalité mais aussi celle d'un bonheur trop tôt envolé. L'enfant avait vécut toute sa jeunesse dans cette absence à la fois héroïque et vide, le corps de ce combattant n'ayant jamais été retrouvé.
Au cours de ses déambulations dans le village, le narrateur revoit cette jeunesse passée auprès de cette mère célibataire qui travaille durement pour élever son enfant. Il revoit ses tribulations de jeunesse, ses années de dur apprentissage de la vie où il l'aidait gauchement à gagner leur pain en servant de factotum d'occasion aux commerçants ambulants les jours de marché. Ainsi apprit-il, bien souvent à ses dépens, à connaître l'espèce humaine capable du pire comme du meilleur mais bien souvent du pire et à se tricoter une philosophie pour la future existence qui l'attendait. Leurs visages, leurs manies, leurs boniments resurgissent aussi et cela donne lieu sous la plume de notre auteur à une galerie de portraits originaux qui n'a d'égal que la description savoureuse de quelques habitants de ce coin perdu, coincés entre un comptoir de bistrot et un banc public, à attendre eux aussi une mort qui tarde à se manifester. Et puis il est parti pour découvrir le monde, comme le font tous les enfants, abandonnant cette femme à la pauvreté, au travail ingrat, au mépris et à la condescendance des riches, à la solitude aussi
Pour suivre le cercueil il est bien seul et accomplit le dernier geste d'un fils qui n'a même pas pu voir sa mère vivante une dernière fois. Ses souvenirs à la fois amers et sucrés de cette enfance ne sont pas les seuls à se réveiller. Ils sont accompagnés de fantômes qui eux aussi s'agitent dans sa mémoire. Refaire ainsi le chemin à l'envers donne le vertige avec son cortège de fantasmes, d'espoirs déçus, de regrets et de remords. Il a certes abandonné cette femme et cette famille étriquée mais il a surtout fuit l'hypocrisie et les mensonges qui y régnaient. C'est que cette femme part avec un secret qui a, il y a bien longtemps, provoqué la fuite de cet adolescent. Il y a des vérités qu'on ne veut pas voir tant elles sont difficiles à admettre et les ombres de ce passé et leur nombreux non-dits s'offrent maintenant à lui mais il refuse de les affronter parce que, sans doute, il les connaît déjà. Il ressent maintenant avec plus d'acuité peut-être la honte d'avoir ainsi abandonné sa mère à qui il ne peut même plus demander pardon, autant qu'il prend conscience, face à tous ces morts , de tout ce que cette famille lui avait si longtemps caché. Ce qui n'est pas autre chose qu'une trahison face aux secrets et aux souffrances inavouables d'une famille engluée dans le silence met en lumière sa propre naïveté, sa crédulité innocente d'enfant qui maintenant découvre les choses dans leur triste réalité. Ravaler sa haine l'a sans doute aidé, tout au long de son existence, à supporter l'injustice, le silence et même un certain mépris, surtout quand ils viennent de nos proches !
C'est toujours un plaisir de lire Philippe Claudel, quel que soit par ailleurs le sujet traité ; Le texte, toujours poétique, est une invitation au rêve pour le lecteur et l'épilogue est à la dimension de ce roman émouvant. Notre auteur parvient même à instiller quelque humour dans cette question difficile tant le secret est commun à beaucoup de familles.
© Hervé Gautier – Octobre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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