la feuille volante

Leonardo Padura

  • L'homme qui aimait les chiens

    La Feuille Volante - N° 2016– Octobre 2025.

     

    L’homme qui aimait les chiens – Leonardo Padura- Métailié.

    Traduit de l’espagnol par René Solis et Helena Zayas.

     

    Cet long ouvrage s’ouvre sur le début de l’exil de Léon Trotski (1879-1940) décrété par Staline et qui dura dix ans et le début de la vie de son assassin, le militant communiste espagnol devenu agent du NKVD , Ramón Mercader (1913-1978). Il s’agit là de deux personnages connus auxquels s’ajoute un troisième, parfaitement fictif celui-là, Ivàn Cardenàs Matrurell, vétérinaire à Cuba mais surtout écrivain manqué, muselé par le régime castriste et donc parfaitement inconnu de tous. Il revient, en 2004, après la mort de sa femme Ana, sur sa rencontre datant de 1977, par hasard sur une plage de La Havane , avec un vieil homme solitaire, Jaime Lopez, et ses deux lévriers barzoï qui lui parle avec précisions du meurtrier de Trotski, lui donnant des détails même sur sa vie intime , détaillant tous les préparatifs de cet assassinat sur fond de fin tragique de la guerre d’Espagne, du pacte germano-soviétique, de l’invasion de la Pologne... Lors de plusieurs rencontres il va avouer à Ivàn que non seulement il a été l’ami de Ramon Mercader mais aussi s’épanche sur les inepties, les, les injustices flagrantes et les crimes, les procès truqués, les exécutions sommaires, les disparitions, les camps sibériens décidés par Staline, décimant son peuple jusque dans les rangs de ses propres partisans. Il dénonce des mensonges qui, à force de temps et de propagande deviennent des réalités, prévoyant peut-être la fin de l’utopie communiste. Le livre refermé, ce que je retiens de cette lecture édifiante c’est le mensonge, le mépris, la peur et la mort.

    Ce sont donc trois destins qui se dessinent, celui de Trotsky, promis à un bel avenir en Russie communiste mais que le dictateur Staline , dans sa volonté de se maintenir seul au pouvoir, a condamné à la déportation au Kazakhstan puis à l’exil au nom de sa supposée traîtrise à la révolution, une longue errance de dix années entre la Turquie, la France, la Norvège et le Mexique où il trouvera la mort assassiné par Mercader. Celui-ci, emporté par la débâcle et la confusion des troupes républicaines à la fin de la Guerre civile est recruté par Moscou, dissimulé sous diverses identités, pour exécuter Trotski. Sa tâche accomplie, il connaîtra lui aussi une autre sorte d’errance, jusqu’à sa mort. Le troisième destin, celui d’Ivàn , le narrateur, est bien différent des deux autres, plus modeste et anonyme qui fait le lien entre le passé et le présent, un témoin attaché à sa fidélité au régime castriste malgré les difficultés des Cubains au quotidien. Il écoutera son vieil interlocuteur, mémorisera, prendra des notes et, après la disparition de Lopez aura la certitude d’avoir rencontré l’authentique meurtrier de Trotski tout en se demandant pourquoi il a été choisi pour recevoir ces confidences qui ébranlaient quelque peu ses convictions et sa vie même. Il releva un détail qu’il avait noté chez Lopez ,que cet amour des chiens était partagé par Trotski … et aussi un peu par lui-même puisqu’il est vétérinaire. Il parle également de lui-, de sa vie intime dévastée par un divorce à l’initiative de sa femme, déçue par son côté perdant et de la séparation d’’avec ses enfants, de la fuite des cubains sur des radeaux de fortune pour gagner les États-Unis , de la mort de son frère.. . D’une certaine façon il est essentiel et avec son témoignage, ils prend réellement une dimension de l’écrivain qu’il a toujours voulu être, quelque peur qu’il ait pu avoir pour écrire ce livre. Il avait en effet été muselé par le régime castriste et s’était tu par crainte. Cet épisode fait renaître en lui cette faculté d’écrire, de témoigner.

     

    C’est un roman historique fascinant, particulièrement bien argumenté, documenté, une somme de travail, de commentaires et de création extraordinaires où la fiction se mêle à l’Histoire et qui s’attache son lecteur jusqu’à la fin de cet ouvrage pourtant long (670 pages).  Ce roman est aussi, selon une note de l’auteur, une réflexion sur les perversions de cette grande utopie du XX° siècle dont la renaissance menace actuellement nos démocraties.