la feuille volante

Electre à La Havane

La Feuille Volante - N° 2021– Octobre 2025.

 

Électre à La Havane – Leonardo Padura- Éditions Méitailié.

Traduit de l‘espagnol par René Solis et Maria Hernandez.

 

Dans les bois de La Havane, on a retrouvé le corps étranglé d’Alexis Arayàn, le fils d’un important diplomate cubain. Pour corser le mystère, non seulement la victime ne semble pas s’être défendue, ce qui pouvait laisser penser à une forme de suicide, mais l’homme dont il s’agit était vêtu d’une longue et belle robe rouge... avec deux pièces de monnaie dans l’anus. A priori il ne pouvait s’agir que d’une affaire de prostitution masculine, d’autant que, selon les premiers renseignements, l’orientation sexuelle de la victime n’était pas vraiment du goût de son père et Alexis avait déserté la belle résidence familiale pour habiter la maison délabre d’Alberto Marqués, homme de théâtre marginalisé à la réputation sulfureuse, devenu un simple bibliothécaire, exilé dans son propre pays par le régime et surtout homosexuel notoire, dernière catégorie que n’aime guère le lieutenant Condé qui, bien qu’il soit suspendu temporairement, est chargé pour des raisons d’effectifs de cette enquête dans la touffeur de l’été cubain. Évidemment il accepte tout en sachant que la hiérarchie l’observe dans le but de le faire tomber. Le problème c’est que notre policier a la mauvaise habitude de rechercher dans chacune de ses affaires ses propres obsessions. Or le meurtre d’Alexis a eu lieu un 6 août, le jour de la Transfiguration du Christ dans la liturgie catholique et qu’il est persuadé d’être ici en présence d’un transformiste et non d’un pédéraste ou d’un travesti pris dans un banal jeu sexuel. D’autre part il apprend que la robe dont était revêtu Alexis était celle qui avait été conçue par Marqués pour le personnage d’ « Électra Garrigo » une authentique pièce de théâtre de Virgilio Piňera, mise en scène par Marqués mais qu’il n’a jamais pu monter. Conde apprit de la bouche de ce dernier qu’Alexis était certes homosexuel mais aussi catholique et possédait un évangile, ce qui faisait de lui un travesti mystique et qui compliquait les choses puisque cette religion bannit à la fois l’homosexualité et le suicide. Je ne suis pas certain d’avoir goûté les investigations de notre lieutenant en ce sens et qui m’ont paru quelque peu superflues. De même, sont évoquée également, dans les années 60 des rencontres parisiennes, avec des intellectuels français. En revanche pour mener son enquête Conde se rapproche de Miki, son ami et écrivain et ainsi comprend que dans cette société castriste l’hypocrisie est de mise, que chacun porte un masque et chacun est observé scruté dans le seul but de découvrir ses failles et de s’en servir contre lui. Des vérités lui seront ainsi révélées, sur cette société, sur le mort, sur sa famille et son entourage et aussi sur un passé que la révolution cubaine veut effacer. Grâce à Marqués, et non sans réticences, il va réussir à entrer dans le milieu homosexuel où il se présente entre autre comme un écrivain-alcoolique ce qui lui permet de cacher sa profession de flic tout en s’adonnant à une effrénée consommation de rhum et de bières et en payant agréablement de sa personne.

 

L’épilogue de ce roman est assez inattendu, le suspense y est distillé avec parcimonie avec une médaille, des restes de cigares et un témoignage capital.

Conde est certes un flic intègre mis c’est également un écrivain refoulé qui a fini par abandonner l’écriture, déçu sans doute par les rebondissements de sa vie. Cette enquête qui lui permet de renouer avec cette vielle discipline qu’il n’a jamais vraiment oubliée au point de confier une nouvelle à sa vieille machine à écrire, ce qui correspond au renouveau de notre policier. Même si les remarques que Padura prête sur ce sujet à notre lieutenant sont loin des préoccupations policières, je les ai particulièrement appréciées parce qu’elles correspondent un peu aux miennes ; D’autre part, les romans de Padura sont aussi l’occasion de se livrer à une critique du régime castriste qui ne favorise pas vraiment son talent. Il n’en demeure pas moins dans son pays sans lequel il ne peut écrire alors qu’il pourrait résider en Espagne dont il a la nationalité. Cette caractéristique que je retrouve, à travers ses différents personnages qui apparaissent dans nombre de ses romans , me parait également notable.

J‘ai, comme d’habitude apprécié la qualité du style notamment dans les descriptions ce qui met notamment en valeur le travail des traducteurs qu’il convient aussi de saluer.

 
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