la feuille volante

JOYEUX NOEL

 

N°924– Juin 2015

 

JOYEUX NOEL Alexandre JardinGrasset.

 

Après les révélations sulfureuses sur sa famille et spécialement sur son grand-père, Jean Jardin, directeur de cabinet de Pierre Laval, qui faisait l'objet d'un encensement familial mais que son petit-fils a osé démasquer (Des gens très bien, publié en 2011), l'auteur nous revient avec l'histoire d'une autre lignée, celle de Norma Diskredapl qui, encouragée par l’initiative « jardinesque », lui confie, lors d'une rencontre dans une librairie nantaise sa saga familiale personnelle. C'est l'histoire d'un « clan turbulent » nommé Diskredapl (impensable en breton) sur plusieurs générations qui s'est installé sur une île bretonne depuis le XIX° siècle mais qui est l'héritière d'une banque suisse. Un tel contexte ne pouvait échapper à la sagacité de notre auteur, familier des extravagants de tout poil. Il sera donc le témoin et le scribe de cette aventure aussi rocambolesque que fantasque. Les différentes histoires dont il se fait l'écho ne pouvaient pas ne pas influer sur lui-même puisque à la fin de son opus il va jusqu'à parler de lui, mais d'une manière plus précise que ne le font les écrivains qui d'ordinaire se cachent sous un masque. On peut même penser que ce parcours dans la vie des autres l'a carrément bouleversé puisqu'il se met à parler de ses revenus, à publier sa feuille d'impôts, sa photo « nu » et « habillé », son bulletin de vote (sans son adresse quand même). Comprenne qui pourra !

 

En fait, et bien que cela ne paraisse pas évident dès l'abord, ces deux romans sont liés puisque, selon ses dires, les Français lui ont su gré de dévoiler ainsi la part sombre de sa famille en leur en parlant. Ainsi, à son exemple, ils pouvaient maintenant parler des mystères de la leur. On peut d'ailleurs s'interroger sur l'utilité de révéler des secrets de famille si lourds à porter soient-ils. Un esprit chagrin verra sûrement là une source d'inspiration qui sera aussi une source non négligeable de revenus. Ce n'est pas si sûr cependant et même si celui qui tient la plume est toujours tenté de relater l'histoire à son profit, j'ai toujours vu une sorte de catharsis dans l'écriture même si maintenant, je ne suis plus très sûr, pour l'avoir pratiquer moi-même, que cela soit forcément efficace. Salir sa famille, où plus exactement révéler ses secrets si jalousement gardés au nom de l'hypocrisie qui veut que de cela « on en parle pas » ne change rien à la réalité qui bien souvent rattrape ceux qui souhaitent la voir disparaître derrière le temps qui passe et qui génère, là aussi, une sorte de prescription. Et puis, secouer l'arbre généalogique ne rapporte pas toujours le succès même à un écrivain connu ! L'espèce humaine dont nous faisons tous partie est pleine de contradictions et de vices et si la religion a inventé la confession, quelque forme qu'elle prenne, c'est sans doute pour quelque chose. J'ai toujours été personnellement étonné quand, lorsque quelqu'un meurt, eût-il été de son vivant le pire des êtres, il se trouve transformé par sa mort même, en une sorte de saint sans reproche que le sens populaire transcrit dans cette formule sans appel à force d'avoir été répétée « Ce sont les meilleurs qui s'en vont », donnant à penser que ceux qui restent ne valent pas cher ! Et puis pourquoi parler ainsi de quelqu’un qui ne peut plus se défendre ? Toute vérité n'est pas bonne à dire, il faut sauver les apparences, cela aussi la sagesse populaire nous l'enseigne, alors à quoi bon ? Cette absolution, générale post-mortem, c'est un peu ce qu'on voudrait donner à ce pauvre Félicien qu'on enterre en ce jour de janvier 2004, oui, à moins que Norma ne vienne y mettre son grain de sel, c'est presque normal, en Bretagne. Et puisque le ton est donné, le roman se décline et il y en a pour tout le monde et tout y passe, les mensonges, les adultères, les trahisons, les lâchetés, la collaboration...la liste est longue et bien entendu non exhaustive. Ce faisant, elle va non seulement s'attirer les foudres de cette famille qu'elle a déstabilisée durablement en écaillant le vernis pourtant si laborieusement lissé mais elle va aussi réveiller toute cette parentèle et avec elle les secrets et les non-dits qu'elle maintenait bien jalousement cachés mais authentifiés par Maëlle, actuellement bistrotière mais qui a passé sa jeunesse comme peu discrète « demoiselle du téléphone », c'est à dire bien avant l'automatique. Ne parlons pas du curé, dépositaire de tous les péchés de l'île, et heureusement tenu au secret, mais lui aussi est « un pauvre pécheur ». C'est vrai que tout le monde s'y met lors de cette réunion de famille à Noël 7 ans plus tard et franchement, dans le domaine de la confession intime, ce n'est pas triste, d'autant que c'est contagieux !

 

J'ai retrouvé avec plaisir la verve et le style jubilatoire que j'avais tant apprécié chez cet auteur, notamment dans « Le Zèbre »(mais pas seulement). Son verbe est comme toujours truculent et je l'ai suivi volontiers dans les arcanes de cette famille vraiment pas comme les autres dont il nous présente les membres dès l'abord avec une certaine facétie[je note que la généalogie qui accompagne le roman est bien pratique]. La présence d'un policier et d'une enquête judiciaire en cours, la réapparition d'un des membres du clan disparu mystérieusement quelques dizaines d'années plus tôt, une série de lettres dilatoires donnent à ce roman une dimension policière qu'un suspens entretient adroitement.

 

Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

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