la feuille volante

Décès d'Alvaro Mutis

N°679– Septembre 2013.

Décès d'Alvaro Mutis

J'apprends le décès d'Alvaro Mutis survenu le 22 septembre dernier au Mexique où il vivait. Il avait 90 ans.

Les habitués de ce site, les lecteurs de cette chronique qui date maintenant d'une trentaine d'années ne peuvent ignorer l'intérêt que j'ai très tôt porté à l’œuvre du poète et romancier colombien. La Feuille volante en a largement gardé la mémoire [N°75 ,100, 163...] et je veux ici rendre hommage au talent de cet auteur même si je n'en ai jamais été qu'un simple lecteur anonyme mais passionné.

Il était l'ami de Gabriel Garcia Marquès qui avait su discerner chez lui un remarquable talent de conteur, « L'un de nos plus grands écrivains » avait dit le lui le Prix Nobel ! Il y avait entre eux une sorte de complicité littéraire puisque que Marquès avouait volontiers « Il y a une part importante d'Alvaro dans presque tous mes livres. ». En France Bernard Clavel avait dit de lui « Mutis est un enchanteur ».

Né en 1923 à Bogota, il avait habité en Belgique où son père était diplomate. Il y resta jusqu'à la mort de ce dernier en 1932. Il revint en Colombie pour s'y marier et y exercer des fonctions d'animateur radio et de chroniqueur littéraire. Il orienta ensuite sa carrière dans le domaine de la publicité puis des relations publiques auprès de société pétrolières, d'aviation ou d'assurances. Il fut un temps inquiété pour une affaire de malversation financière qui l'obligea à s'exiler au Mexique où il fut incarcéré. Ensuite il parcourut le monde pour vendre des films pour l'industrie cinématographique américaine. Ses fonctions lui permirent de voyager et ainsi sans doute de concevoir la figure emblématique de son œuvre, celle de Maqroll El Gaviero, Maqueroll le Gabier. Avant cela, il y eut des romans, des poèmes qui n'ont peut-être pas rencontré un vif succès mais dont Otavio Paz n’a pas manqué, dès 1959, de souligner l’intérêt parlant de leur auteur comme d' «  Un poète dont la mission consiste à convoquer les vieux pouvoirs, faire revivre la liturgie verbale, dire la parole de vie. » 

Le voyage est au cœur de son œuvre et je voudrais revenir sur le personnage de Maqroll qui l'incarne. Héritier de la marine à voile, le gabier est celui qui, juché en haut du plus haut mât du navire, veille à la manœuvre mais aussi à la marche du bâtiment. La vigie c'est lui, il est le veilleur, celui qui ne dort pas, qui observe. La figure de Maqroll apparaît dès 1953 dans un recueil de poèmes publié plus tard en France sous forme de traduction et intitulé « Les éléments du désastre ». Elle ne quittera plus son œuvre au point qu'on pouvait dire que l'auteur et Maqroll marchaient d'un même pas, mais si c'était au bord de l'abîme que ce pauvre monde incarne. Ce Maqroll n'est rien d'autre qu'un modeste membre d'équipage souvent attaché à un rafiot brinquebalant qui se traîne sur les mers ou sur les fleuves. Il ne pose que très rarement sac à terre mais quand cela lui arrive, le continent lui réserve aussi des surprises souvent pas très bonnes. C'est sans doute pour cela qu'il est notoirement incapable de se fixer quelque part ! Et dans ce sac justement il y a ce qu'on ne s'attend pas à trouver, ce sont souvent des livres rares et précieux qu'il relit jusqu'à satiété. C'est que cet homme, s'il a, à sa manière, des « semelles de vent » est cultivé, c'est un honnête homme qui vous parle volontiers de la guerre de succession d'Espagne, de celles de Vendée, cite par cœur Chateaubriand et tient Louis Ferdinand Céline pour le meilleur auteur français.

Il y a aussi son double, Abdul Bashur, son grand ami, presque son frère. Lui, issu d'une famille d'armateurs levantins est un idéaliste. Il symbolise l'amitié à laquelle Maqroll est par dessus tout attaché. Dans « Abdul Bashur, rêveur de navire », il poursuit cette idée un peu folle de découvrir un navire aux lignes parfaites et, pour se faire, n’hésite pas à rencontrer les personnages les plus louches. "J'ai appris désormais à tirer des rêves jamais réalisés de solides raisons de continuer à vivre et je m'y suis habitué." avoue-t-il. Il y a aussi sa mort, annoncée et prévisible qui fait de sa vie une improbable quête, le rapprochant de son ami Maqroll dont l'existence a été une perpétuelle errance sur les mers. J'ai toujours aimé ce personnage, anti-héros par excellence et « son absence de goût et de projets d'avenirs » et surtout sa prodigieuse aptitude à se mettre dans des situations inextricables qui tournent souvent au fiasco.

Maqroll est aussi fidèle en amitié comme cellE qui le lie au peintre Alejandro Obregon dans « Le dernier visage » ou à Sverre Jensen dans « le rendez-vous de Bergen ».

Maqroll est avant tout un réaliste, une sorte d'Ulysse en perpétuelle errance qui jette cependant sur l'humanité un regard de plus en plus désabusé :« Les hommes changent si peu, continuent d’être perpétuellement eux-mêmes au point qu’il n’existe qu’une seule histoire d’amour depuis la nuit des temps qui se répète à l’infini sans perdre sa terrible simplicité, son irrémédiable infortune. ». Sur la vie aussi dont il nous rappelle qu'elle est transitoire, que nous n'en sommes que les usufruitiers et qu'elle s'arrêtera un jour, souvent sans crier gare, que le but de l'existence sur terre n'est pas forcément la réussite sociale. La Camarde hante l’œuvre de Mutis[« Chaque poème un pas vers la mort/ une fausse monnaie de secours/ un tir à blanc dans la nuit.» in « Les éléments du désastre], elle n'est pas morbide pour autant et même si elle est simple, voire simpliste, j'aime que ce soit ce Maqroll qui me le rappelle à l'envi.

L'amour justement qui fait tellement partie de sa vie qu'il est aussi une perpétuelle quête. Il s'incarne dans des femmes à la fois aimante et énigmatiques qui ont nom Illona, Antonea, Flor Estevez et combien d'autres. Elles sont incontournables de ce personnage de marin qui a une femme dans chaque port mais aussi une insondable solitude, vivant l'amour davantage comme des passades que comme des passions avec cette insatiable envie de départ parce que pour lui le voyage est aussi une fuite. Chacune de ces femmes est à la fois sa maîtresse, sa mère, sa compagne, son amie, son double, bref une nécessaire compagnie qu'il quitte cependant, obéissant à l'appel du large.

C'est vrai que ce Maqroll est aussi un amateur d'alcool, un épicurien et Mutis ne manque jamais l'occasion de glisser dans son texte la recette d'un cocktail. Ses aventures tiennent en haleine son lecteur devenu complice jusqu'à la dernière page du roman.

Ce que je retiens de Mutis, c'est qu'il est un extraordinaire conteur, un magicien des mots. A titre personnel, je l'ai toujours considéré comme un écrivain d'exception par cela sans doute qu'il prend son lecteur dès la première ligne d'un roman et ne l'abandonne qu'à la fin sans que l'ennui ait, à aucun moment, pollué sa lecture. Ils ne sont pas nombreux ceux à propos de qui j'ai pu écrire cela ! C'est à cela sans doute qu'on reconnaît un authentique écrivain !

L'ensemble de son œuvre fut couronné par divers prix en Colombie mais aussi en France [Prix Médicis étranger en 1989 pour « Les neiges de l'Amiral », Prix Roger-Cailloix en 1993] et en Espagne « Prix Prince des Asturies », « Prix Reine Sophie » en 1997 puis « Prix Cervantes » en 2001]. Certaines de ses œuvres comme « La mansion de Araucaima » et « Ilona vient avec la pluie » ont été adaptés par le cinéma colombien en 1986 et 1996.

© Hervé GAUTIER - Septembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

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