la feuille volante

Le sourire d'Angélica

N°1591 - Octobre 2021

 

Le sourire d’Angélica – Andrea Camilleri – Fleuve noir

Traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

 

On ne contrôle pas ses rêves et encore moins les paroles qui s’échappent de son sommeil. Tout commence par une phrase que Livia endormie prononce et qui laisse Salvo Montalbano perplexe au point de douter de sa fidélité. Il est vrai qu’en permanence ils ne vivent pas ensemble, l’une à Bologne et l’autre en Sicile et que cet éloignement peut favoriser l’adultère, mais il est également vrai qu’une vie commune n’empêche en rien les trahisons conjugales et que bien malin qui peut se targuer de connaître véritablement son conjoint.

Dans sa circonscription, des cambriolages ont été commis aux dépends de la riche bourgeoisie locale selon une même procédure particulière et l’une de ces affaires met Montabano en face d’Angélica, la jolie salariée d’une banque qui arrondit ses fins de mois en se prostituant mais qui aussi correspond à ses fantasmes d’enfant et au personnage du même nom dans le roman «Roland furieux » du poète L’Arioste. C’est peu dire que la beauté de la jeune femme fait de l’effet à Salvo et ce dernier, pour les besoins de l’enquête autant qu’à la demande pressante d’Angélica, passe avec elle un accord pour contrecarrer les cambriolages à venir tout en respectant la discrétion. Tout cela n’empêche pas les lettres anonymes qui nourrissent la suspicion ordinaire de sa hiérarchie et entravent l’enquête en même temps qu’elles lui pourrissent la vie.

Dans un roman de Camilleri, il y a certes le compte-rendu des investigations que Montalbano mène ordinairement entre bluff, hésitations et éclairs de génie, mais aussi l’équipe qui le seconde, Fazio à la fois fidèle et efficace, Catarella dont la présence ajoute une note de folklore malgré sa récente passion pour l’informatique. Mais l’intérêt du roman ne s’arrête pas là. Un tel épisode dans la vie de Montalbano peut certes le faire rajeunir, lui faisant pour un temps oublier ses 58 ans et perdre la tête pour cette jeune et jolie femme, croire peut-être à nouveau à son charme. Tout commence pour lui par ces quelques mots prononcés nuitamment par Livia et qui jettent le doute dans l’esprit de Salvo avec, sous-jacente, cette idée de vengeance. Dans le même temps il y a cette rencontre avec Angélica et tout ce qu’elle représente pour lui, entre l’attirance qu’il éprouve pour elle à cause de sa séduction naturelle de femme et les fantasmes qu’il porte en lui depuis longtemps et qui trouvent à ce moment précis leur concrétisation. Il y a l’ivresse d’avoir été choisi pour des moments de plaisirs intimes mais aussi, le moment d’extase passé, le sentiment de déception né de la banalité ordinaire qu’il n’imaginait pas, augmenté peut-être de la honte de lui-même pour avoir trahi Livia sur la seule éventualité d’une passade supposée. Ce genre de situation inspirée par le mensonge peut durer longtemps mais trouve parfois sa conclusion grâce au hasard ou à l’aveu. Ici c’est cette dernière manière que choisit Salvo mais Livia, trop attachée ou amoureuse, ne le croit pas.

C’est pourtant d’une autre sorte de vengeance dont il s’agit ici mais qui dérange Montalbano, autant parce qu’il prend conscience qu’il a été manipulé à cause de ce satané et peut-être tardif « démon de midi » que parce qu’il doit faire jusqu’au bout son métier de flic, quoi qu’il puisse lui en coûter.

Depuis que j’ai découvert Camilleri, c’est toujours le même plaisir de le lire d’autant qu’en plus de l’intrigue policière il y a souvent, comme ici, une dimension psychologique qui justifie bien qu’on ait donné à Camilleri le titre de Simenon italien.

 

 
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