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la feuille volante

Paris est une fête

 

N° 1436 - Mars 2020.

 

Paris est une fête – Ernest Hemingway. Gallimard

Traduit de l’américain par Marc Saporta.

 

Après la première Guerre mondiale pendant laquelle il servit comme ambulancier volontaire dans la Croix-Rouge italienne, Hemingway(1899-1961) fut engagé comme journaliste et arriva à Paris avec femme, enfant et chat en 1921, quelque peu désargenté. Ils y resteront cinq ans. Ce livre est, selon son auteur, un mélange d’imaginaire et de réel, un récit autobiographique qu’enchante la ville et son aura insouciante. On le voit déambulant dans les rues de la capitale, s’arrêtant dans les cafés pour y écrire à l’invitation de l’ambiance du lieu, de l’alcool ou du regard d’une belle inconnue, visitant les musées de peinture ou les librairies, flânant sur les bords de Seine en discutant avec les bouquinistes ou les pêcheurs, s’intéressant aux courses hippiques ou cyclistes. Il retrouve ici son travail de journaliste en ce sens que ce roman peut aussi être regardé comme un reportage, écrit dans un style fluide comme à son habitude. Il est attentif à tout ce que cette ville lui réserve, même si les vrais Parisiens en sont absents, aux événements les plus banals de la rue, la pratique du turf comme à une rencontre à la Closerie des Lilas ou dans les bars de Montparnasse. Il doute certes mais croit en lui, en son talent, abandonne le journalisme pourtant lucratif, veut sortir de l’anonymat par l’écriture mais ça s’avère difficile et la faim fait partie de son quotidien. Il constate, amer, que lui qui sera Prix Nobel de littérature ne parvient pas à s’imposer dans un milieu qui boude son talent, mais il ne perd pas espoir. Il fait la rencontre d’autres américains comme la riche collectionneuse Gertrud Stein qui tient salon, plus âgée que lui elle jouait à la mécène découvreuse de talents, l’écrivain Scott Fitzgerald pourtant bien différent de lui mais déjà célèbre, le poète Ezra Pound, l’Irlandais James Joyce, Picasso, Blaise Cendras… Il faut cependant souligner le fait que les contacts avec les écrivains français n’ont pas vraiment déterminants pour Hemingway à cause peut-être de la barrière de la langue. Il se tient au courant des potins littéraires parisiens, se laisse aller à son côté épicurien et on le sent amoureux de cette ville mythique où il faut être en ce début du XX° siècle surtout pour de jeunes écrivains américains qui peinent à être reconnus aux USA et aussi du style de vie à la française, et ce même si l’auteur fait partie, comme Pound, d’une « génération perdue » selon le mot de Gertrud Stein. Il y avait certes un taux de change plus intéressant pour les Américains mais Paris était en quelque sorte un milieu littéraire de référence et de légitimation, une éducation créatrice à laquelle l’exil pouvait sans doute un peu contribuer. La France, c’était un contexte de liberté qui contrastait avec la côté puritain d’Outre-Atlantique. Pour Hemingway, c’est aussi un moment fort de son histoire d’amour avec sa femme Hardley Richardson, dont pourtant il divorcera.

Certes aujourd’hui nous sommes loin du Paris des années 20, emblématique et même allégorique, loin aussi de la vie un peu bohème qu’y menait l’auteur alors jeune auteur talentueux. L’ambiance y était différente, on sortait d’une guerre qu’on voulait oublier parce qu’elle évoquait les souffrances et la mort. Cette ville représentait un espoir de reconnaissance pour lui, un lieu où il voulait vivre ce moment de sa vie, lui l’Américain alors inconnu qui sentait grandir cette envie d’écrire. Certes Paris reste encore aujourd’hui ce lieu d’une réussite potentielle où, plus qu’ailleurs sans doute, des rencontres d’exception peuvent décider de toute une vie, même si les fantasmes y ont une large place et que la désillusion peut aussi faire partie de la réalité. J’ai apprécié que ce roman moins connu d’Hemingway, composé au départ de notes éparses, écrit longtemps après son séjour parisien puis remanié et publié après sa mort, soit redécouvert et brandi par les Parisiens, et par les Français, au lendemain des attentats de novembre 2015 en réponse à l’obscurantisme meurtrier de Daech.

©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

 

 
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