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la feuille volante

Mémoire de mes putains tristes

La Feuille Volante n° 1146

Mémoire de mes putains tristes – Gabriel Garcia Marquez – Grasset.

Traduit de l'espagnol par Annie Morvan.

 

Drôle d'idée de la part du narrateur : le jour de son 90° anniversaire , il veut s'offrir une folle nuit d'amour avec une jeune prostituée vierge, paradoxe qui tient autant dans la découverte de la fille que dans les possibilités physiques du narrateur. Il y a en effet un âge pour tout ! Célibataire, il confie en effet n'avoir jamais fait l'amour avec une femme, qu'elle fût prostituée ou non, sans la payer pour cela, c'est donc pour lui devenu une habitude. Il a même dressé une liste de ses partenaires. Rédacteur improbable dans un petit journal local, il a eu l'idée de rédiger autre chose que ses articles ordinaires pour leur préférer ses mémoires, d'où le titre du roman.

Mais, revenons à ce qu'il considère comme un cadeau personnel, et même intime, d’anniversaire. On dira ce qu'on voudra et on peut être animé des meilleures intentions du monde, la sagesse populaire a bien raison de proclamer qu'on ne peut être et avoir été. Le malheur pour lui c'est que cette réalité se propage sous forme d'informations dans toute la ville où il est fort connu, ce qui n'est pas fait pour célébrer sa virilité, nonobstant son âge !

Restait donc ce fait, ou ce non-fait, comme un défi que relève volontiers son amie la maquerelle qui se sent obligée de lui trouver un « cadeau » capable de combler les désirs de son amical client, mais celui-ci se dérobe sans pouvoir la toucher. Pourtant la présence d'une de ces jeunes femmes auprès de lui va contribuer à le rajeunir et à le rendre fou amoureux. Ce n'est donc pas une simple histoire de coucheries d'un vieillard libidineux comme on aurait pu s'y attendre mais une véritable renaissance pour lui. Mais ce n'est pas que cela et cet ultime épisode lui renvoie en pleine figure tous les échecs de la vie passée, la nostalgie du temps qui fuit, les affres de la vieillesse, la réalité prochaine de la mort. Nous ne pouvons rien à la fuite du temps et nous sommes tous promis au trépas quoique nous fassions. Nous serons seuls face à la camarde et il est illusoire d'espérer autre chose et se raccrocher à ses souvenirs ne servira à rien. C'est aussi simple et cruel que cela parce que c'est non seulement l'apanage de la condition humaine qu'il en soit ainsi , mais en plus il nous est donné d'en prendre conscience sans pouvoir rien faire contre cela. Tout être vivant est promis à la mort mais la particularité de l'homme est de pouvoir y réfléchir longtemps avant, de l’apprivoiser peut-être mais assurément de la craindre d'autant plus facilement que son existence a été belle et qu'ainsi il sait ce qu'il perd en perdant la vie.

Derrière un titre évocateur, porteur d'érotisme et peut-être davantage, c'est en réalité à une méditation sur la condition humaine à laquelle l'auteur nous convie, aux joies et surtout aux peines, aux grandeurs mais surtout aux décadences, aux mensonges et aux trahisons qui sont bien plus fréquents que l'amitié et l'amour sincères qui accompagnent notre parcours sur terre qui n'est pas un long fleuve tranquille. Tout ici-bas n'est qu'apparences, décor, hypocrisies, mensonges. On peut quand même se jouer à soi-même la comédie mais tout passe, la jeunesse comme la beauté, tout est promis à la décrépitude, même le corps des femmes qui est encore la seule manière d'échapper agréablement à la solitude et à la souffrance.

 

J'ai apprécié une nouvelle fois le style fluide de Marquez, sa verve mêlant l'humour à la mélancolie, une façon sinon de rire, à tout le moins de sourire de la mort inévitable qu'un vieil homme peut combattre en puisant dans la jeunesse et la beauté d'une femme. Il la présente toujours comme endormie et nue ce qui est sans doute une manière de répondre à la mort prochaine du narrateur et une façon de souligner les ravages que les années ont fait sur son propre corps.

 

 

 
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