la feuille volante

L'ANNÉE DU SOULÈVEMENT- Hubert Mingarelli

 

N°453 - Septembre 2010

L'ANNÉE DU SOULÈVEMENT– Hubert Mingarelli - Éditions du Seuil.

 

Bien étrange histoire que celle de ces deux hommes, Daniel et Clétus, seulement armés d'un fusil de chasse qui sont chargés d'escorter un prisonnier, l'officier San-Vitto, en haut d'une colline où d'autres soldats sont censés venir le récupérer sans doute pour le tuer. On sent que ces deux hommes n'aiment pas San-Vitto parce que c'est un adversaire mais aussi parce que c'est un officier. Ils se ressemblent tous, dans toutes les armées, parce qu'ils incarnent l'autorité, la discipline, la nécessaire obéissance aveugle aux ordres donnés, sans discussion. C'est eux aussi qui prononcent les sanctions souvent injustes et qui s'abattent sur les hommes du rang. Comme si, au sein d'une même armée, chacun se méfiait de l'autre...

 

Au début, les relations sont hostiles entre ces protagonistes, mais quand ils parviennent en haut de la colline, chacun s'enfonce dans l'inaction obligatoire en espérance que tout cela se termine bientôt. Daniel et Clétus parlent de la guerre mais aussi de leur quotidien d'avant les hostilités. Pour les hommes c'était autant de combats auxquels chacun, amis ou ennemis, a participé avec son lot de morts, d'absurdités, de devoir de tuer. Autour d'un feu, ils attendent, l'officier probablement la mort, les hommes, la relève qui tarde à venir et dont on se prend à imaginer qu'elle ne viendra pas parce que dans ce désordre des choses on a sûrement oublié jusqu'à cette mission un peu bizarre et peut-être jusqu'à leur propre vie. La peur s'installe, chacun la sienne, dans l'incertitude des combats et le futur immédiat qu'on imagine, l'abandon peut-être. Alors pour l'exorciser on fait un feu, (on le construit dit le texte) pour éclairer et réchauffer la nuit, on sort des cartes à jouer, on parle (Clétus emploie le tutoiement avec San-Vitto, Daniel, le vouvoiement), on s'offre des cigarettes, sans doute pour éviter de garder le silence, on s'intéresse à la vision furtive d'un cheval, on prête attention aux aboiements des chiens dans le lointain... Les dialogues sont au départ frustres mais deviennent plus personnels. Des relations quasi-humaines finissent par se tisser entre le prisonnier et ses gardiens, une sorte de syndrome de Stocholm ou de Lima. Pourtant, quoiqu'il arrive Daniel et Clétus devront obéir aux ordres et San-Vitto se soumettre, c'est la règle de ce jeu un peu surréaliste de la guerre qui transforment en ennemis des hommes qui autrement se seraient bien entendus. Alors l'empathie gagne et Clétus qui a le beau rôle parce que c'est lui qui a le fusil, donne des conseils à son prisonnier qui peuvent, le pense-t-il, sauver la vie de ce dernier quand ils sera entre les mains des autorités qui décideront de son sort. Autour d'eux c'est la nuit mystérieuse qui sert de décor. Avec la peur vient le doute et l'hostilité entre Daniel et Clétus qui finissent par s'opposer, se menacer...

 

Dans ce huis-clos un peu surréaliste en pleine nature, on évoque les combats de cette guerre autant que la paix et chacun s'évade comme il peut, avec les souvenirs de sa vie d'avant, un chien ou une partie de chasse, avec ses projets d'après ces hostilités. A la fin, la guerre elle-même disparaît pour laisser place à autre chose qui ressemble à la paix, à la sérénité. C'est un peu comme si l'absurdité de tout cela disparaissait derrière une sorte d'espérance d'un monde enfin redevenu normal, comme si ces hommes ordinaires précipités un peu malgré eux dans cette lutte, reprenaient leurs habits d'humains. Le style dépouillé suggère cette impression donnée au lecteur d'un temps suspendu entre deux gouffres, entre deux mondes, une sensation un peu trouble et malsaine cependant comme le sont souvent les choses humaines quand l'absurdité se met à peser sur elles.

 

 

 

 

© Hervé GAUTIER – Septembre.http://hervegautier.e-monsite.com

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