la feuille volante

Des éclairs – Jean Etchenoz

 

N°492– Janvier 2011.

Des éclairs – Jean Etchenoz*- Éditions de minuit.

 

C'est un roman surprenant que nous offre ici Echenoz. Il l'est par son sujet. C'est certes une fiction, l'histoire de Gregor, mais elle s'inspire largement de celle bien réelle de Nikola Tesla (1856-1943), né selon la tradition un jour d'orage en Croatie. Sa vie sera donc placée sous le signe des éclairs et de l'électricité. Il sera lui-même brillant comme l'éclair, rapide et éphémère dans ses conceptions comme dans ses réalisations. C'est le type même de « l'ingénieux ingénieur » comme dirait Boris Vian à qui rien n'est vraiment étranger et dont la vie entière sera consacrée à des découvertes scientifiques et ce pour le bien de l'humanité. Comme de nombreux génies, il est ombrageux, peu sympathique, méprisant pour ses collaborateurs, excentrique, capricieux, invivable, susceptible, défauts qui feront de lui un célibataire définitif et un misanthrope convaincu . Il est aussi extrêmement nerveux, fragile, obsédé par la propreté, constamment en train de compter (avec une prédilection pour les multiples de trois !)avec la volonté constante de débusquer les microbes qu'il craint par dessus tout.

 

Malheureusement, il est obnubilé par ses découvertes au point de négliger ses propres intérêts personnels, de négliger l'argent qu'il dépense sans compter ce qui fait rapidement de cet homme qui vit constamment à crédit, un endetté permanent. S'il avait une passion pour les comptes, c'était plutôt celle du dénombrement des choses ou des gens, pas celui de l'argent, ce qui n'est pas pour arranger ses affaires !

 

A l'époque, il fallait les USA à ce talent inventif, d'autant qu'en Europe, il commençait à devenir encombrant, gênant à cause de sa supériorité et de l'avance qu'il avait sur son temps. C'est donc dans ce pays neuf qu'il se rend à l'âge de 28 ans. Il y déploie tout son génie inventif, remplaçant après un combat difficile le courant continu peu pratique, dangereux et peu fiable par le courant alternatif moins couteux dont il développe des applications qui lui sont tout aussitôt volées par ses contemporains malgré une quantité impressionnante de brevets déposés. C'est le cas de la radio (attribuée à tort à Marconi) du radar (conçu par lui dès 1900, il ne sera réalisé que pendant la 2°guerre mondiale par les Alliés) l'automatisme sous toutes ses formes, les rayons X, les robots et même les rudiments de l'informatique. Las, nombres de ses inventions seront attribuées à d'autres ! Ce qui le caractérise aussi c'est la vitesse, celle du raisonnement, de la conception mais rarement de la réalisation qu'il laissera aux autres ou dont les autres s'empareront.

 

Pourtant toute sa vie sera consacrée à rendre plus facile celle des autres et de leur procurer de l'énergie gratuite, ce qui n'est guère du goût des financiers. Il voulait aussi éviter les guerres et procurer au monde une harmonie générale ce qui était quelque peu utopique. De son vivant il ne dédaignait pas le grand spectacle mais toujours pour mettre en valeur cette électricité qu'il considérait comme devant améliorer le sort de l'humanité. Excentrique, il concevait parfois des inventions irréalisables voire inutiles, trop en avance sur son temps il en proposait parfois qui ne virent le jour que tardivement. Il devint même suspect quand il pensa engager un dialogue avec les extraterrestres, et, négligeant la compagnie des hommes quand il se passionna pour les pigeons ou quand il conçu le « rayon de la mort ».

 

Nikola Tesla est présenté, peut-être par le miracle de la création littéraire comme un rêveur un peu déconnecté de la réalité, fuyant ses semblables mais aussi aimant les étonner, un altruiste frustré et un scientifique génial spolié de ses découvertes, un bel homme mais un amoureux perpétuellement timide et incapable d'exprimer ses sentiments.

Après un parcours à la fois brillant et controversé, il mourut à New-York, incompris, ruiné, seul et complètement oublié à l'âge de 86 ans !

 

Original, ce roman l'est aussi de part le style d'écriture, à la fois emprunt d'un humour de bon aloi et carrément dans l'oralité. C'est en effet sur un ton confidentiel et presque complice qu'il s'adresse au lecteur... et qu'il le tient en haleine jusqu'à la fin. J'ai bien aimé ce changement de ton par rapport aux autres romans que j'ai lus. Je l'ai trouvé plus personnel, plus intimiste peut-être ?

Et puis, il ne faut pas manquer de saluer le travail de documentation scientifique réalisé par l'auteur. Ce livre à beau être un roman, il n'en est pas moins largement inspiré de la vie de ce savant-fou qui, finalement, nous est bien sympathique. Ce n'est pas à proprement parlé une biographie qui est un exercice difficile et parfois ingrat. Le parti pris de la fiction modifie sans doute un peu l'image du modèle mais le résultat est pertinent.

 

Après « Ravel » et « Courir » (consacré  à Émile Zatopek), Echenoz clôt brillamment avec ce roman sa «  trilogie des trois vies ». Il a fort opportunément fait revivre sous l'angle de la fiction cet homme peu connu en France mais dont la vie est un véritable roman.

 

 

*Prix Goncourt 1999 pour « Je m'en vais ».

 

L'œuvre de Jean Echenoz est largement évoquée dans cette chronique.

 

 

©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

 

 

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