la feuille volante

Montaigne. encore un essai!

La Feuille Volante n° 1329

 

Montaigne. Encore un essai ! - Jean Eimer - illustrations Christian Gasset – Cairn Éditions.

 

L'auteur imagine que le fantôme de Montaigne revisite son propre château, y voit passer des touristes pressés et même Joséphine Baker, s'amuse d'une pile de vieux journaux le «Midi olympique » consacrés au rugby (d'où le titre sans doute) et même une biographie qui lui est consacrée et qu'il a bien entendu transportée avec lui dans sa bibliothèque pour la lire, toujours aussi étonné des pensées qu'on lui prête, des épisodes de sa vie qu'on prétend connaître puisqu'il est désormais convenu que tout Montaigne est dans ses « Essais », par ailleurs fort sujets à la glose à cause des nombreux non-dits et des nombreuses éditions. Il est vrai, comme il le rappelle l'air de rien, qu'il est l'écrivain le plus étudié et le plus commenté sur terre ! Il en profite donc pour promener sur le monde et sur le temps un regard malicieux et prendre directement la parole, donnant un avis qu'on imagine autorisé sur sa naissance quelque peu mystérieuse, sur le doute relatif à la paternité de son géniteur, sur son français, bien éloigné de celui de maintenant qui empruntait autant au gascon qu'au latin, sa langue maternelle par décision paternelle, sur son père attentif mais censeur et sur sa mère indifférente et lointaine. Un peu pour contredire les nombreux commentateurs autant que pour fixer les choses, il rappelle les origines paternelles de sa famille enrichie par le négoce puis son anoblissement. Plus observateur précis de son temps que véritablement historien, il est même un peu mauvaise langue, et en relate la chronique pourtant assez troublée et cruelle, sur un ton badin, avec une prédilection pour la critique des gouvernants et même de la justice, dénonçant la vénalité des magistrats, l'iniquité des jugements, la torture comme mode d'aveu, le jargon judiciaire incompréhensible du peuple, la religion... On même dit de lui, mais bien plus tard, qu'il y avait dans ce magistrat catholique, « un perpétuel protestant » ! On comprend dès lors qu'une telle liberté de parole ne favorisa pas son avancement dans un métier qu'il quitta au bout de treize années d'un travail peu passionnant qu'il compensa par les voyages et le libertinage.

Pendant qu'il y est il donne des détails sur son physique, sur son enfance, sa vie scolaire à Bordeaux puis étudiante à Paris où il se révèle dépensier et licencieux, amoureux de la vie et des femmes, évoque sa rencontre avec Étienne de la Boétie, le mystère, encore un, de leurs relations et l'importance que cet homme a eu dans sa vie , dans sa réflexion et dans son écriture puisque les « Essais » ne parurent qu'après la mort de son ami. Les femmes, justement ! Elles ont été un soulagement pour lui à la mort de La Boétie, favorisant son apprentissage du deuil, sous l'égide du sexe ! Elles ont beaucoup compté dans sa vie et pas seulement pour les passades. Paradoxalement il commence par sa mère, quelque peu volage au point qu'un doute subsiste sur l'identité de son géniteur. Il épaissit le mystère autour d'elle en rappelant ses origines juives espagnoles, sa conversion au christianisme, à une époque où brûler les hérétiques était monnaie courante. Elle n'eut pourtant rien d'une mère juive protectrice et attentive puisque la présence de Montaigne devait lui rappeler son infidélité. Elle survécut cependant à toute sa famille. Le mariage arrangé par le père de Montaigne apaisa ce dernier qui y vit une marque de résipiscence ; l'épouse, il est vrai était belle, richement dotée et bonne gestionnaire, même si Montaigne avait, à l'endroit de cette institution, quelques réticences et les propos à la fois acerbes et pertinents qu'il tint tendent à prouver qu'il ne fut pas vraiment heureux avec elle. Seule une fille Léonor, survivante de cinq autres, mortes au berceau, lui survécut. Il faut y ajouter Marie de Gournay, sa « fille d'alliance », cette jeune « fan » qui s'attacha à faire connaître les « essais » et à les publier.

Sa démission de la magistrature le laissait disponible pour le voyage, la chose publique qu'il entendait servir et l'écriture. Cela fit de lui un maire de Bordeaux, un diplomate de l'ombre entre protestants et catholiques, et même un espion, le tout dans une période troublée, et surtout l'auteur des « Essais ». A leur propos, le fantôme de Montaigne, être forcément intemporel, ne peut pas ne pas constater que son œuvre qui a mis vingt ans et plusieurs éditions à atteindre sa forme définitive, n'est plus lue en France de nos jours, même si elle fait pourtant l'objet de thèses universitaires dans le monde entier. L'école qui les a mis à ses programmes n'a contribué qu'à en détourner des générations d'élèves, notamment à cause de la langue qui fait trop appel aux études classiques plus vraiment en vogue actuellement. Alors faut-il les traduire en français actuel ? La musique des mots en pâtirait sans doute mais l’œuvre serait lue à l'instar de Don Quichotte, réécrit en espagnol contemporain. Le spectre peut-il au moins se contenter, Montaigne ne laisse personne indifférent et après plus de cinq siècles, c'est quand même exceptionnel.

 

j'ai bien aimé le ton sur lequel tout cela est dit, et bien dit, avec humour et à-propos, mais aussi pour la qualité de la documentation, et je n'oublierai pas non plus les illustrations, non moins jubilatoires. Au moins ce livre a-t-il eu l'avantage de me réconcilier avec un auteur, à la fois libertin et mystérieux, que des années d'études m'avaient rendu un peu trop rébarbatif et de peut-être m'inviter à une relecture.

Je remercie Babelio et les éditions Cairn de m'avoir permis de découvrir ce livre et de profiter des remarques et états d'âme de cet intemporel ectoplasme.

 

©Hervé GAUTIER – Février 2019. http://hervegautier.e-monsite.com

 

 

 
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