la feuille volante

LES CHAMPS D'HONNEUR - Jean ROUAUD - Editions de Minuit - Prix Goncourt 1990.

 

MARS 1991

N° 55

 

 

 

 

LES CHAMPS D’HONNEUR - Jean ROUAUD - Editions de Minuit - Prix Goncourt 1990.

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Dans ma quête incessante de bonnes lectures j’ai découvert, grâce, il est vrai, à l’Académie Goncourt, le roman de Jean Rouhaud. Je n’ai, bien sûr, aucun mérite à louer cet ouvrage déjà couronné par ce prix prestigieux, mais je m’en félicite cependant car mon lecteur m’accordera que je n’ai pas toujours partagé le choix de ce jury... Tant s’en faut! De plus, pour une fois qu’un jeune auteur est couronné pour son roman et que le prix ne va pas au traditionnel « Galligrasseuil », je pense que cela mérite une mention particulière.

 

Au-delà de l’histoire racontée, ce qui a retenu jusqu’au bout mon intérêt c’est, ligne après ligne, le style à la fois précis et volubile de l’auteur où l’humour subtil s’insinue sans cesse. Il peint parfois un sourire complice sur les lèvres de son lecteur, l’amène sûrement jusqu’au bout du récit avec l’envie d’en savoir plus.

 

C’est vrai qu’à juste titre, on commençait à déplorer que notre époque perde le goût de l’écriture, que cette dernière n’était pas seulement une succession de mots articulés en phrases qui, à mesure devenaient des chapitres et finissaient par faire un livre. Il devait bien y avoir quelque part des gens (des écrivains au sens vrai du terme) qui possédaient en eux un talent pour faire que ces mots qu’ils écrivaient ne soient pas seulement des signes. Il devait bien y avoir des magiciens qui pouvaient tenir en haleine leur lecteur par la seule force de leur écriture parce qu’elle était éminemment simple, poétique et subtile à la fois, et transformait la lecture dont on craint de plus en plus la disparition, en une partie de plaisir, une jouissance même!

 

C’est vrai que ce roman est de ceux qui font que l’envie qu’on porte en soi de lire redevient elle-même, et que ce texte qui évoque si joliment les gens simples et humbles nous parle à lui seul. Bien que la progression de la phrase soit parfois difficile à suivre (c’est son style et il n’est point désagréable), il procède par petites touches successives et significatives pour évoquer les lieux et les hommes.

 

Je l’ai dit sa phrase est largement émaillée d’humour, de drôlerie même, mais il reste cependant, le livre refermé, une atmosphère bizarrement triste, propre à ces gens qui n’ont pas d’histoire et dont l’auteur choisit de nous raconter la vie. Dans l’existence de cette famille, point de rencontre au sommet avec de grands personnages, point d’actions d’éclat! Rien que du quotidien avec ses joies, ses peines, ses sourires et ce petit côté amer que nous connaissons tous.

 

L’émotion qui baigne tout ce livre éclate à la fin, ce qui explique le titre. Jean Rouaud a des mots simples pour évoquer « La Grande Guerre » qui reste dans l’inconscient collectif la plus cruelle et la plus dévastatrice, que l’homme s’est promis de ne plus recommencer mais qui reste cependant un modèle qu’on répète malgré tout à chaque fois à force de vouloir l’éviter.

 

La guerre reste la guerre et les gens simples qu’il évoque en ont payé le prix tout comme ils ont versé leur écot au temps qui fuit et qu’on mesure à l’aune des enterrements et des souvenirs.

 

©Hervé GAUTIER

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