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la feuille volante

SON EXCELLENCE, MONSIEUR MON AMI - Jérôme Garcin

 

N°447 - Août 2010

SON EXCELLENCE, MONSIEUR MON AMI– Jérôme Garcin - Éditions Gallimard.

 

Qui se souvient encore de François-Régis Bastide? Il faut assurément n'être plus très jeune, être un amoureux passionné de la radio et de la culture et avoir un peu de mémoire! Qui était-il donc? Fondateur du « Masque et la plume », musicien, écrivain, séducteur, admirateur de Cocteau, mystificateur et ambassadeur de France ( d'où le titre). C'est en tout cas ce personnage que choisit d'évoquer Jérôme Garcin qui, entre autre, anime à son tour l'émission de France-Inter qui était celle de « son ami ».

 

Quand il choisit de revenir à La Garde-Freinet où il habitait, de remettre en quelque sorte ses pas dans les siens, Bastide est mort depuis dix ans déjà. Par un réflexe qui n'anime que ceux qui souhaitent que la mémoire d'un homme ne se perde pas tout à fait mais qui refusent l'édification d'une statue si tentante, irréaliste et peut-être inutile aux yeux des quidams pour qui il restera toujours un inconnu, l'auteur préfère un hommage appuyé à celui qui avait « le visage exact du séducteur qui suscita autrefois, à parts égales, de l'excitation et de l'exaspération, tant il était à la fois irrésistible et insupportable ». Le ton est donc donné. Mais comment le faire sinon avec des mots qui portent en eux à la fois la pérennité de l'airain et la fragilité du support que guette l'oubli, ce travers de la condition humaine? Et puis, nous le savons bien, ils enjolivent et trompent à la fois, et ce malgré l'auteur lui-même, se conjuguent souvent avec l'ombre, les anthologies étant souvent des vœux pieux que personne ne lit.

 

Quand il décline son enfance et son adolescence biarrottes baignées de musique, son engagement dans la 2°DB, son séjour en Allemagne occupée, pays qui fera toujours peu ou prou partie de lui-même, ses passionnantes découvertes littéraires, son entrée dans le monde culturel et médiatique, il montre que ce que veut Bastide c'est avant tout conquérir Paris et obtenir réussite et notoriété. Puis ce fut l'engagement politique aux côtés de François Mitterand en lorgnant en secret sur un ministère, à condition qu'il fût situé rue de Valois, pour finalement embrasser une carrière diplomatique, même si celle-ci ressemblait un peu à une disgrâce ou a un éloignement et qui mit entre parenthèses sa carrière d'écrivain. Malgré de fréquents séjours à Latché, celui que Garcin appelle familièrement « Régis » n'était pas non plus exempt de vanité.

 

Il évoque aussi ses aventures amoureuses se demandant «  S'il n'était pas un collectionneur vaniteux qui trop embrasse ou un pénitent inconsolé qui mal étreint ». Pourtant Gilles Jacob le dira « brillant avec les mots, brillant avec les femmes ». C'est plutôt un compliment!

 

Quand il parle du chroniqueur littéraire qu'il fut aussi, Garcin note que «  c'était un troublant mélange de jeune amant transi et de vieux critique râleur, de cabot et d'exégète qui donnait à ses chroniques un charme coquin , ébouriffé, fougueux, parfaitement inactuel. ». On ne fait sans doute pas ce métier sans se créer des inimitiés. A lui non plus elles ne manquèrent pas!

 

Comme tout personnage en vue, il a suscité la polémique. C'est à cela qu'on reconnaît aussi la valeur des gens, surtout s'ils sont, comme il aimait à le dire de ceux qui participait à son émission « des insolents plutôt convenables », au moins, ils ne laissent pas indifférents. Et Bastide ne s'est pas contenté de la créer dans le cadre de son émission de radio du dimanche soir!

 

En réalité s'il parle de cette amitié qui les unissait et les unit encore par-delà la mort, c'est peut-être à cause de leurs deux vies parallèles et le désir de Garcin de rédiger non pas une biographie mais une évocation amicale, tout en y glissant, mais on ne saurait lui en vouloir, des anecdotes personnelles. Et d'ajouter « J'aimais que notre amitié fondée sur des désaccords parfaits que rien jamais n'ébrécha ni n'assombrit. Il m'arrive de croire qu'il a été, à son insu, mon ange gardien ».

 

C'est donc la fidélité en amitié imperméable au temps qui anime l'auteur qui ne voudrait pas « qu'on négligeât François-Régis Bastide » simplement parce qu'il ne fait plus partie du monde des vivants. C'est un hommage émouvant, sans grandes concessions et qui évite autant la dithyrambe que les révélations malsaines qui font trop souvent le succès des livres actuels, et n'a pour unique but que de faire revivre un ami disparu. De cet écrivain adepte du « mentir-vrai » il fait un portrait attendrissant : « Il m'a toujours semblé que cet admirateur de Saint-Simon s'était trompé de siècle et qu'il était fait pour vivre au temps de la litote, de la prétérition, du clair-obscur et du baisemain... Maladroit en amour, gaffeur en société, querelleur avec ses amis, d'une grandiloquente timidité, bravache sans raison, préférant être amoureux qu'aimer, et caressant peut-être mieux les mots que les corps, mon ami, cela au moins lui sera-t-il accordé, était beau de langage ».

 

L'écriture de ce livre est calme, musicale, limpide et procure une lecture agréable, donne aussi envie, pourquoi pas, de lire Bastide et peut-être aussi et même sûrement, d'en découvrir davantage chez Garcin.

 

 

 

 

 

© Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

 

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