la feuille volante

Gueules d'ombre

N°1669 - Août 2022

 

Gueules d’ombre - Lionel Destremau- La manufacture du livre.

 

Dans un pays imaginaire, l’inspecteur Siriem Plant est chargé par le ministère des anciens combattants de découvrir l’identité d’un mystérieux soldat renversé par une voiture en ville et qui est maintenant dans le coma. L’armée ne sait rien de lui, même son nom, Carlus Turnay, n’est pas certain, on le suppose en permission ou déserteur et les familles se manifestent pour reconnaître en lui un proche disparu. Les investigations s’avèrent difficiles d’autant que les frères d’armes de l’intéressé sont presque tous morts. Du succès de ses recherches dépend sa futur carrière dans la police et Plant le sait et il va donc explorer méthodiquement et laborieusement cette voie, rencontrant leurs fantômes, mais finira par s’apercevoir qu’il est surveillé par l’armée. C’est une recherche labyrinthique et hasardeuse qui débouche souvent sur du vide ou sur des pièces d’un puzzle qui ne s’emboîtent pas. Cela rappelle à Siriem le séjour qu’il a lui-même fait sous l’uniforme, dans ce conflit meurtrier auquel il a cependant survécu et qui ressemble, à quelques détails près, à la Grande guerre avec ses ordres, ses contre-ordres, ses charges meurtrières sous la mitraille, ses corps à corps dans la boue des tranchées, dans une ambiance de mort et de menace du peloton d’exécution pour refus de combattre.

Au fur et à mesure des recherches, le mystère s’épaissit autour de Turnay, son parcours, ses blessures, ses séjours à l’hôpital, ses zones d’ombre, ses impasse, son attirance vers la mort.

 

J’ai une impression mitigée près la lecture de ces plus de 400 pages. Le style est agréable, dramatiquement haché vers la fin, ce qui correspond bien au rythme final, le suspens entretenu jusqu’à la fin mais malgré quelques longueurs, je ne suis vraiment entré en sympathie avec Turnay que dans les dernières pages, quand il promène sur son parcours qui prendra bientôt fin un regard désabusé d’une grande lucidité et choisit d’être enfin lui-même face à la camarde, en dresse un rapide bilan désastreux, lui qui avait à l’origine une tout autre idée et confie tout cela à une longue lettre destinée à une cousine dont, malgré ses années de solitude, il n’avait jamais oublié le visage... et qui ne l’ouvrit même pas. J’ai ressentis à la fois sa solitude et la vanité des choses qu’on tresse autour de soi pour s’aider à supporter cette vie qui est une unique mais nous échappe sans que nous y puissions rien. J’ai même partagé son envie de tout envoyer balader face à ce qui finalement n’a été qu’un échec face à l’indifférence et à la grande comédie hypocrite de ses proches, de l’image moralisatrice qu’ils veulent donner d’eux-mêmes, de leur légende qu’ils tisent … et de la satisfaction qu’ils en tirent. Sa vie n’a été qu’un fiasco et il en fait l’amère constatation face à la mort qui n’a même pas voulu de lui malgré la guerre au point de ne vivre sa vie que comme un fardeau. Heureusement pour lui, nous sommes tous mortels.

 

 

 
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