la feuille volante

Michel Folco

  • La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler

    La Feuille Volante n°1043– Mai 2016

    La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler – Michel Folco -Stock .

    Rien n'est plus incertain que la paternité et dans ce domaine comme dans bien d’autres qui touchent à la nature humaine, le droit trouve toujours le moyen de s'arranger des situations parfois hasardeuses pour que les apparences soient sauves, mais pas forcément la paix des ménages. Aloïs Schicklgruber, un douanier impérial et royal, fils illégitime, que son père naturel Karolus Trikotin avait refusé de reconnaître, prit, par un artifice juridique, le nom du mari de sa mère, Georg Hiedler, qu'une main malhabile transforma en Hitler. Il avait trente neuf ans. D'avoir été un bâtard pendant si longtemps lui donna l'envie d'en faire lui-même mais Adolf fut bel et bien son fils légitime. Après la mort du père le futur chancelier eut effectivement une jeunesse et une adolescence mélancoliques, souvent rebelles, parfois coléreuses et égoïstes, en réalité quelqu'un d'assez banal, pas du tout favorable à l'armée d'Autriche (il fera ce qu'il pourra pour échapper au service militaire et en sera finalement exempté, temporairement), pas vraiment fan d'une discipline qu'il imposera plus tard au peuple allemand, mais qui savait ce qu'il voulait et endossait déjà les habits du chef, cultivant son originalité avec une mèche de cheveux qui deviendra célèbre (la moustache ne viendra que plus tard). Il montra sa prédilection pour l’architecture, le dessin et la peinture, la musique de Wagner et la poésie qui exaltait un peuple allemand unifié et puissant, lui qui était autrichien, une sorte de vision politique avant l'heure, bref un rêveur, pas vraiment tourné vers les études, capable cependant de tomber amoureux fou d'une jeune fille rencontrée au hasard dans la rue, d'être bouleversé par la mort de sa mère... Il fut un garçon solitaire dans la vie de qui les jeunes-filles puis les femmes furent absentes. C'est bizarre, mais en lisant ce roman, je me suis presque pris d'empathie pour ce jeune homme naïf, pas très chanceux, un peu perdu, avec ses rêves en bandoulière, la tête pleine de ses illusions et de ses fantasmes, confronté à la solitude et à la pauvreté, à la vocation artistique contrariée, débordant d'amour pour sa mère, une femme meurtrie par le deuil de trois de ses enfants et de son mari, qui craignait pour l'avenir de ce fils qu'elle comprenait de moins en moins. Je me suis même demandé si c'était bien le même qui deviendrait, quelques années plus tard, un des plus grands criminels de l’histoire. Je n'ai en revanche rien vu qui puisse justifier la haine viscérale de Hitler pour les juifs durant cette période.  Il a certes été escroqué, par l'un d'eux, il y avait certes des mouvements antisémites en Autriche comme en Allemagne à cette époque, mais rien de ce que j'ai souvent entendu à ce sujet.

    C'est un livre qui se lit facilement, qui fourmille de détails, qui est particulièrement bien documenté(notamment lors de l'attentat contre l’archiduc François-Ferdinand)et qui laisse également place à l'imaginaire de l'auteur et à son humour. C'est vrai aussi que, de Hitler, nous avons, et pour cause, l’image d'un dictateur sanguinaire , mais nous ne savions rien de son enfance et de son adolescence. L'auteur évoque sa vie jusqu'à l'attentat de Sarajevo qui sera la cause de la première Guerre Mondiale mais nous nous le représentons facilement par la suite comme une sorte d’extra-terrestre parvenu au pouvoir légalement, un homme providentiel comme l'humanité les aime tant, que tout le monde attendait en Allemagne pour laver l'affront de la défaite de 1918 et relever le pays, lui redonner son aura, quitte à le suivre aveuglément jusque dans le désastre. Ce roman a l'intérêt de présenter son enfance et son adolescence, pas vraiment différentes de celles des autres enfants de son âge, même si par la suite le destin a fait de lui quelqu’un de bien différent.

     

    © Hervé GAUTIER – Mai 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • En avant comme avant

    La Feuille Volante n°1015– Février 2016

     

    En avant comme avant !– Michel Folco - Seuil

     

    Il est des patronymes qui sont lourds à porter. Celui de Charlemagne Tricotin est de ceux-là, d'autant que celui qui le porte n'est pas vraiment le commun des mortels. Il est le valet d’échafaud de Montpellier, le futur gendre de Pibrac dit « le Troisième » descendant de Justinien, exécuteur des hautes œuvres de Bellerocaille(Aveyron) et, le jour de son mariage, face à l'autel, il refuse d'épouser Bertille qu'il a préalablement engrossée, simplement parce qu'il ne veut pas devenir bourreau comme ce mariage l'y oblige par contrat. En effet, en ces temps bénis, on ne pouvait épouser la fille d'un bourreau sans le devenir soi-même et de cette vie-là, Charlemagne n'en veut pas. Ce refus, proféré d'ailleurs in-extremis dans l'église, devant le curé et une assemblée de guillotineurs venus de loin et en grand habit de cérémonie, est le début de folles aventures qui commencent dans la sacristie de l'église, avec dégustation des hosties agrémentées des saintes huiles et bien entendu du vin de messe … et cela ne fait que commencer ! Certains s'insurgent contre notre justice, que dire dès lors de celle de l'Ancien régime, de ces procédures, de ces modes de preuves, et de sanctions que l'auteur nous détaille par le menu et dont Charlemagne fait bien entendu les frais. Pensez, pour cela, des broutilles au demeurant, il est condamné à 501 ans de galère !

    Nous aurons donc droit, et dans le détail, à toute la procédure de la « Question » par laquelle il fallait impérativement passer et sans laquelle un aveu n'avait pas de valeur, puis par le séjour dans les geôles au confort très discutable et les différents petits arrangements pour y survivre, à la procédure pénale avec un mode pour le moins « archaïque » de preuve, le marquage au fer rouge en fonction du crime commis, la chiourme qui, à pied, traversait la France de Paris à Toulon et qui vidait des cachots ceux qui étaient condamnés aux galères. Tout cela sans parler du mode d'exécution des condamnés, exposés aux fourches patibulaires à l'entrée des villes pour dissuader les habitants et les nouveaux arrivants mal intentionnés. Je ne parle pas de l'importance que se donnaient les petits seigneurs locaux, véritables potentats qui avaient entre les mains la vie et la mort des gens qui étaient sous leur autorité et qui ne manquaient pas d'en abuser. Une véritable étude de l'espèce humaine qui, même si les choses ont un peu changé, est malheureusement toujours d'actualité.

    Cela dit, notre Charlemagne, au demeurant un homme fort sympathique, avec son zézaiement, son bon-sens et sa curiosité naturelle pour « L'Encyclopédie », va traverser pas mal d'aventures rocambolesques parce que, de ces injustices dont il est l'objet, il a la ferme volonté de se venger. L'auteur nous fait partager ses nombreuses tribulations qui le conduisent à Paris et vont, par de nombreux détours, l'amener à se battre en duel dans les jardins de Versailles, sous les yeux de Louis XVI, ce qui est interdit et lui vaut un embastillement, pas si dur que cela cependant pour cet homme du peuple sans fortune, mais où l'on court de risque d'être oublié. Pas de quoi décourager cependant son exercice favori qui consiste à s’évader dès lors qu'il est prisonnier quelque part ! Pourtant, pendant ce séjour forcé il a quand même réussi à sympathiser … avec les rats. C'est aussi l'occasion d'évoquer plus largement, l'historique (et aussi la géographie) de la Bastille, la personne du roi, la pratique du « commerce triangulaire », la vie à la Cour, les potins et la mode vestimentaire qu'on y rencontrait, l'art et la philosophie du duel à cette période, l'organisation de la police… ce qui donne lieu à des descriptions et des évocations fort suggestives.

    Bref c'est un roman fort plaisant, malgré les sujets traités, bien écrit, instructif et fort richement documenté pour qui s'intéresse à cette période de notre histoire. L'auteur agrémente chaque chapitre d'une ou plusieurs phrases mises en exergue dont on n'est pas obligé de croire qu'elle sont authentiques mais qu'importe, seule l'histoire m'a passionné et dépaysé et j'ai toujours aimé le XVIII° siècle. En tout cas, et c'est l'essentiel, il tient son lecteur en haleine jusqu'à la fin.

     

    Depuis que le hasard m'a fait rencontrer l’œuvre de Michel Folco sur les rayonnages d'une bibliothèque, j'ai retrouvé avec plaisir son style jubilatoire, assorti de pas mal d'expressions savoureuses.

     

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • Dieu et nous seuls pouvons

    La Feuille Volante n°1014– Février 2016

     

    Dieu et nous seuls pouvons – Michel Folco - Seuil

     

    En ce temps-là, c'est à dire en 1683, on vous envoyait aux galères pour n'importe quoi. Le malheureux Justinien Pibrac en savait quelque chose qui y fut condamné injustement et à cette époque on ne s’encombrait ni de délais ni de débats contradictoires, d'appel et encore moins d'enquêtes méticuleuses. En attendant la chiourme qui devait l'emmener à Marseille, on lui propose, pour sauver sa liberté, d’occuper la charge vacante de bourreau du seigneur de Bellerocaille (Aveyron). Lui qui voulait devenir marin par amour des voyages et de la mer mais qui savait lire et écrire en latin à cause d'une carrière ecclésiastique à venir, n'avait pas vraiment la vocation pour ce genre de charge. Il n'était qu'un enfant trouvé, qu'un bâtard au nez curieusement amputé dès sa naissance, mais était surtout un peu opportuniste, surtout soucieux de ne pas risquer sa vie, il accepta donc de devenir « l'Exécuteur des Hautes Œuvres » et comprit vite tous les avantages, privilèges et même pouvoirs occultes attachés à son nouvel état dont il profita largement. Cette fonction dont personne ne voulait lui permettait certes de rester en vie mais ne faisait pas pour autant de lui un citoyen ordinaire. Ce qu'il ne sut pas c'est qu'il donna naissance à sept générations d'exécuteurs dont la charge se passait de père en fils. Leur richesse et leurs prérogatives seront mises à mal par les législations pénales successives jusqu'à être purement et supprimées par l'abolition de la peine de mort. Pour autant, en  Rouergue, le nom de Pibrac dont personne n'ignorait les fonctions, était un poids bien lourd à porter au point que certains s'en désolidarisèrent. L'un se fit boulanger, d'autres voulurent émigrer en Amérique, d'autres encore changèrent carrément de patronyme pour exorciser cet ostracisme qui représentait pour eux un véritable préjudice. Pour autant ce fut une véritable dynastie de bourreaux avec Mémoire familial, armes parlantes et une devise devenue célèbre : « Dieu et nous seuls pouvons ». L'un d'eux voulut même, pour préserver leur propre histoire et lui donner un lustre de respectabilité, faire classer la traditionnelle demeure comme « monument historique » mais, cette démarche n'ayant pas abouti, en faire un conservatoire à l’inauguration duquel il convia les bourreau du monde entier ! L’événement fut bien entendu festif et chacun eut à cœur d'offrir au musée une pièce caractéristique de la profession.

     

    C'est un roman divisé en deux parties (la deuxième commençant en 1901), un texte, picaresque et rocambolesque à souhait, écrit avec humour et même jubilation , qui, entre fiction et réalité, s'attache son lecteur jusqu'à la fin bien que le sujet ne s'y prête guère. Il est fort bien documenté, agréable à lire, précis dans les détails et donne une image de la société de l'époque avec ses us et coutumes. Il nous remet en mémoire des mots qui désormais appartiennent au passé et j'ai trouvé personnellement cela savoureux.

     

    Ce roman historique est aussi une bonne leçon à la fois sur la vanité humaine et sur sa nature même. Assister à une exécution publique était, semble-t-il, un spectacle fort prisé, quant à la fonction de bourreau, elle me paraît assez étrange même si le bon sens populaire déclare qu'il n'y a pas sot métier ! Cet attachement à la mort, même légale, m'interpelle et en dit long sur l'espèce humaine à laquelle nous apprenons tous. Vouloir éliminer son prochain, jusqu'à le tuer en y éprouvant un certain plaisir qu'on peut camoufler sous le concept de conscience professionnelle, de métier inévitable et, à l'époque, utile à la société, et pourquoi pas d'art, est révélateur. S'il y a une impunité dans tout cela, des gains intéressants et malgré le rejet social que la fonction génère, certains y ont trouvé leur avantage. Je me souviens que, au siècle dernier, peu d'années avant l’abolition officielle de la peine de mort en 1981, alors que dans la profession la vocation familiale avait dû se tarir, une annonce nationale fut passée pour le recrutement d'un bourreau. Quel ne fut pas l'étonnement général, amplifié d'ailleurs par la presse, de voir se déclarer un nombre impressionnant de candidats pour ce poste ! C'était sans doute autant d'assassins en puissance !

     

     

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]