la feuille volante

En avant comme avant

La Feuille Volante n°1015– Février 2016

 

En avant comme avant !– Michel Folco - Seuil

 

Il est des patronymes qui sont lourds à porter. Celui de Charlemagne Tricotin est de ceux-là, d'autant que celui qui le porte n'est pas vraiment le commun des mortels. Il est le valet d’échafaud de Montpellier, le futur gendre de Pibrac dit « le Troisième » descendant de Justinien, exécuteur des hautes œuvres de Bellerocaille(Aveyron) et, le jour de son mariage, face à l'autel, il refuse d'épouser Bertille qu'il a préalablement engrossée, simplement parce qu'il ne veut pas devenir bourreau comme ce mariage l'y oblige par contrat. En effet, en ces temps bénis, on ne pouvait épouser la fille d'un bourreau sans le devenir soi-même et de cette vie-là, Charlemagne n'en veut pas. Ce refus, proféré d'ailleurs in-extremis dans l'église, devant le curé et une assemblée de guillotineurs venus de loin et en grand habit de cérémonie, est le début de folles aventures qui commencent dans la sacristie de l'église, avec dégustation des hosties agrémentées des saintes huiles et bien entendu du vin de messe … et cela ne fait que commencer ! Certains s'insurgent contre notre justice, que dire dès lors de celle de l'Ancien régime, de ces procédures, de ces modes de preuves, et de sanctions que l'auteur nous détaille par le menu et dont Charlemagne fait bien entendu les frais. Pensez, pour cela, des broutilles au demeurant, il est condamné à 501 ans de galère !

Nous aurons donc droit, et dans le détail, à toute la procédure de la « Question » par laquelle il fallait impérativement passer et sans laquelle un aveu n'avait pas de valeur, puis par le séjour dans les geôles au confort très discutable et les différents petits arrangements pour y survivre, à la procédure pénale avec un mode pour le moins « archaïque » de preuve, le marquage au fer rouge en fonction du crime commis, la chiourme qui, à pied, traversait la France de Paris à Toulon et qui vidait des cachots ceux qui étaient condamnés aux galères. Tout cela sans parler du mode d'exécution des condamnés, exposés aux fourches patibulaires à l'entrée des villes pour dissuader les habitants et les nouveaux arrivants mal intentionnés. Je ne parle pas de l'importance que se donnaient les petits seigneurs locaux, véritables potentats qui avaient entre les mains la vie et la mort des gens qui étaient sous leur autorité et qui ne manquaient pas d'en abuser. Une véritable étude de l'espèce humaine qui, même si les choses ont un peu changé, est malheureusement toujours d'actualité.

Cela dit, notre Charlemagne, au demeurant un homme fort sympathique, avec son zézaiement, son bon-sens et sa curiosité naturelle pour « L'Encyclopédie », va traverser pas mal d'aventures rocambolesques parce que, de ces injustices dont il est l'objet, il a la ferme volonté de se venger. L'auteur nous fait partager ses nombreuses tribulations qui le conduisent à Paris et vont, par de nombreux détours, l'amener à se battre en duel dans les jardins de Versailles, sous les yeux de Louis XVI, ce qui est interdit et lui vaut un embastillement, pas si dur que cela cependant pour cet homme du peuple sans fortune, mais où l'on court de risque d'être oublié. Pas de quoi décourager cependant son exercice favori qui consiste à s’évader dès lors qu'il est prisonnier quelque part ! Pourtant, pendant ce séjour forcé il a quand même réussi à sympathiser … avec les rats. C'est aussi l'occasion d'évoquer plus largement, l'historique (et aussi la géographie) de la Bastille, la personne du roi, la pratique du « commerce triangulaire », la vie à la Cour, les potins et la mode vestimentaire qu'on y rencontrait, l'art et la philosophie du duel à cette période, l'organisation de la police… ce qui donne lieu à des descriptions et des évocations fort suggestives.

Bref c'est un roman fort plaisant, malgré les sujets traités, bien écrit, instructif et fort richement documenté pour qui s'intéresse à cette période de notre histoire. L'auteur agrémente chaque chapitre d'une ou plusieurs phrases mises en exergue dont on n'est pas obligé de croire qu'elle sont authentiques mais qu'importe, seule l'histoire m'a passionné et dépaysé et j'ai toujours aimé le XVIII° siècle. En tout cas, et c'est l'essentiel, il tient son lecteur en haleine jusqu'à la fin.

 

Depuis que le hasard m'a fait rencontrer l’œuvre de Michel Folco sur les rayonnages d'une bibliothèque, j'ai retrouvé avec plaisir son style jubilatoire, assorti de pas mal d'expressions savoureuses.

 

© Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

 
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