la feuille volante

Quelques mots sur Patrick MODIANO

 

N°284 – Novembre 2007

Quelques mots sur Patrick MODIANO
[Vestiaire d'enfance – Du plus loin de l'oubli – Un cirque passe - La petite bijou (Gallimard).

Quelques livres pris au hasard sur les rayonnages d'une bibliothèque, avec pour seule référence le nom de l'auteur parce que, voilà bien des années, il a fait naître en moi un intérêt pour son écriture et pour sa démarche créatrice, un plaisir de lire qui, aujourd'hui encore ne se dément pas.

Il est des univers littéraires dans lesquels il m'est impossible d'entrer, je le regrette toujours, surtout quand il s'agit de grands noms des Lettres, mais c'est ainsi, je n'y peux rien. Cela ressemble fort à un échec ou, à tout le moins à une occasion manquée. En revanche, le monde de Patrick Modiano m'intéresse, sans que je sache exactement pourquoi. Est-ce le style volontairement dépouillé, l'histoire qui pourtant est souvent des plus banales, des personnages ordinairement assez falots et sans réel parcours, mais j'entre de plain-pied dans ce domaine et j'y reste avec plaisir, jusqu'à la fin.

Une tranche de vie, l'expression a quelque chose de convenu, une somme de moments apparemment anodins, de réflexions personnelles, tout un récit à la fois étrange et simple mais qui se révèle fascinant pour le lecteur attentif. Un décor fait de femmes qui passent, d'instants amoureux et furtifs, d'hommes en costume gris-muraille à l'aspect parfois inquiétant, d'énigmatiques compagnes vêtues en plein hiver d'une veste de cuir trop légère et d'espadrilles anachroniques, portant en bandoulière un sac de paille dans un pays de soleil ou un vieux manteau élimé qui lui évoque des souvenirs dans une ville sans âme, un narrateur un peu paumé qui marche au gré du hasard ou de ses envies, un contexte bizarre, digne d'un roman-policier...

Avec le souvenir d'un prénom, d'un nom parfois, de la silhouette d'une femme, de gestes intimes tout juste esquissés, retenus et parfois timides, l'auteur déroule son histoire puis la reconjugue au présent sur le mode mélancolique, avec en toile de fond son enfance évanouie qu'il recherche... Je choisis d'y voir quelque chose de très humain, comme deux microcosmes, celui d'un homme et d'une femme qui ne parviennent pas à se rencontrer, malgré les apparences. Cela tient à l'histoire intime de chacun, du souvenir qu'on en conserve, du choix qu'on fait de l'oublier, de le faire vivre ou de l'abandonner, de l'intervention du hasard, un peu comme si chaque personnage se mouvait à la façon d'un fantôme, sans réelle consistance, dans un décor d'aquarium aux contours indistincts, malgré les références précise au décor et le cadastre de ce Paris que Modiano connaît bien.

Cette lecture, par ailleurs attirante, fascinante même, me donne l'impression à la fois de la légèreté des mots, de la fragrance d'un parfum de femme, de travaux d'écriture en devenir, de projets de vie chaque fois remis à plus tard, de halls de gare où des voyageurs en partance suivent leur chemin comme des automates, de situations transitoires, de café improbables aux sièges de moleskine rouge, de grenadine d'enfance[la couleur rouge revient souvent sous la plume de l'auteur, comme un signifiant]. Le narrateur me paraît être une sorte de passager de la vie, égaré dans le quotidien et qui se laisse porter par lui, avec des rêves de voyage et de fuite pour une autre géographie, somme d'instants parisiens, juxtaposés, de dialogues faits de peu de mots, simplifiés à l'extrême, comme feutrés, qui entretiennent une ambiance mystérieuse et intemporelle où le malaise s'insinue parfois.

Ces romans sont peuplés de gens qu'on reconnaît parfois des années après une première rencontre, souvent furtive et hasardeuse au point qu'il est impossible de retrouver le lieu et l'époque. Les scènes évoquées paraissent être des photos un peu floues. De ces femmes, a-t-il été l'ami, l'amant, le complice ou un lointain parent? C'est une épreuve pour la mémoire, une occasion de bousculer les convenances, la porte ouverte aux envies les plus folles...C'est comme s'il n'y avait pas d'histoire, pas d'intrigue ou plus exactement que le récit que l'auteur nous livre, ne devait jamais se terminer.


© Hervé GAUTIER - Novembre 2007.
http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg 

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