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la feuille volante

SEUL DANS LE NOIR

 

N°499– Janvier 2011.

SEUL DANS LE NOIR- Paul AUSTER– Actes sud.

Traduit de l'américain par Christine Le Bœuf.

 

August Brill, critique littéraire à la retraite, contraint à l'immobilité à la suite d'un accident de voiture se réfugie dans le Vermont, chez sa fille divorcée qui héberge également sa propre fille. La solitude, les insomnies, l'inaction suscitent chez lui un retour sur lui-même avec ses regrets, ses remords ... Pour fuir le noir de la nuit, il se recréé un monde imaginaire dans une Amérique qui n'aurait connu ni le 11 septembre ni la guerre en Irak [ On peut penser qu'il nie cet épisode historique parce que l'ex-compagnon de sa petite-fille Katia a été tué en Irak. Elle aussi se réfugie, aux côtés de son grand-père, dans le visionnage de vieux films], mais qui serait déchirée par une sorte de deuxième guerre de sécession. Dans ce décor surréaliste, Brill place son personnage principal, Owen Brick, magicien professionnel, la trentaine, chargé de tuer un homme qu'il ne connaît pas mais qui est présenté comme le seul responsable de ce conflit. Cet homme se révèle être Brill lui-même, l'inventeur de toute cette histoire. Son élimination physique mettra fin aux combats. Pour l'inciter à mener à bien cette mission, Brick fait l'objet d'un chantage : s'il n'élimine pas August Brill, c'est lui et son épouse Fortuna qui seront tués. Et tout cela, bien qu' imaginé par Brill lui-même, prend l'aspect d'une réalité. Pire peut-être, Auster n'imagine pas que Brill puisse renoncer à cette histoire [« Or Brill ne peut en aucun cas renoncer puisqu'il doit continuer à raconter son histoire, l'histoire de cette guerre dans cet autre monde qui est aussi ce monde-ci, et il ne peut se laisser arrêter par rien ni par personne. »]

Brill, déroule donc son histoire. Il permet à Brick de rencontrer une multitude de personnages dont pas mal de femmes. Ils ont tous leur place dans ce monde parallèle qu'il imagine ! Dans ce processus « d'histoire dans l'histoire », l'auteur mélange allègrement réel et virtuel et la nuit favorise cette « création » ! Dès lors cette introspection fait défiler dans sa tête toutes sortes de scénarii, des plus vraisemblables aux plus échevelés, allant même jusqu'à évoquer le suicide de Brick, pour éviter un sort tragique à son épouse.

 

Ce roman est composé un peu comme un patchwork un peu déroutant pour le lecteur. Cela commence par une référence à Giordano Bruno, ce moine philosophe du XVI° qui fut brûlé par l'inquisition italienne pour avoir soutenu qu'il existait d'autres mondes analogues au nôtre. Dans un texte gigogne, Auster mélange plusieurs fictions, juxtapose des morceaux de textes, passe brutalement d'une narration écrite à la première personne par Brill à un épisode du parcours de Brick. On a même parfois l'impression d'être carrément dans l'irréalité d'un conte de fée. Le narrateur évoque son enfance, sa rencontre avec sa défunte épouse, Sonia, son divorce, son remariage, le divorce de sa fille, parle longuement avec sa petite fille... Tout cela au cours d'une seule nuit d'insomnie !Ce pauvre vieil homme qui revient sur sa vie, la raconte à sa petite-fille, est en réalité en train de se distraire lui-même [« Je me suis surtout raconté une histoire, c'est ce que je fais quand je ne peux pas dormir. Je reste couché dans l'obscurité et je me raconte des histoires »]

Mais « Ce monde étrange continue de tourner » comme l'écrit le poète. La nuit se termine, le jour se lève, l'imagination s'arrête, l'inspiration se dissipe, la magie prend fin... Auster cesse tout d'un coup les « aventures » de Brick et aussi la rédaction de son roman !

 

Paul Auster est vraiment un écrivain étonnant à plus d'un titre. Sa créativité semble ne pas avoir de bornes, mélangeant autobiographie et chimères, jouant avec les mises en abymes, il tisse lentement un univers kafkaïen et labyrinthique. Non seulement il raconte une histoire, mais aussi il en profite, dans la seconde partie, pour s'interroger sur le rôle de l'écrivain par rapport à ses personnages, mène une réflexion sur la guerre et sur l'engagement américain, compare livre et film [« Un livre vous oblige à échanger avec lui, à faire travailler votre intelligence et votre imagination , alors qu'on peut regarder un film dans un état de passivité décérébrée. »], se livre à une analyse assez longue de certains longs-métrages [ Renoir, de Vittorio de Sica, Ray...], parle, sous forme d'aphorismes de Dieu, de la bonté, l'éducation, de la culpabilité [ Katia pense que le départ de son ex-compagnon pour l'Irak où il sera tué est la conséquence de leur rupture], met en perspective la douleur et la création artistique, sa genèse aussi parfois. Un écrivain doit souffrir pour créer[Brill vit « dans une maison d'âmes en peine, blessées » et sa fille, également meurtrie par la vie, écrit, elle aussi]ou simplement laisser aller son imaginaire ? Sa propre création est-elle un baume à la douleur, tant le monde extérieur est peu attirant. L'imagination serait-elle une antidote à la vie et pourquoi pas au temps qui passe ?

 

Je ne sais pas pourquoi, mais je continue avec plaisir à explorer l'univers de Paul Auster.

 

 

 ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

 

 

 

 

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