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la feuille volante

LES JOURS FRAGILES – Philippe Besson

 

N°611– Décembre 2012.

LES JOURS FRAGILES – Philippe Besson - Juillard

 

Sous la forme d'un journal intime, Isabelle, sœur d'Arthur Rimbaud, relate par le menu les derniers moments de son frère à partir de son retour en France . Nous sommes en 1890 et il n'a plus que quelques mois à vivre. A l'issue d'un séjour de 10 ans en Afrique où il voulait faire fortune, il revient se faire soigner une tumeur au genou qu'il a contractée là-bas mais on l'ampute à l’hôpital de Marseille. Elle se souvient d'Arthur, cet élève précoce et brillant sans doute promis à un bel avenir, cet adolescent insoumis épris de liberté et de voyages qui très tôt fuit cette ferme pour être ce garçon aux semelles de vent. C'est que, dans la famille, les hommes ont la bougeotte, comme le père, le capitaine Rimbaud qui abandonna les siens, comme Frédéric maintenant définitivement banni.

 

Arthur a 35 ans, il a perdu toute la fougue révolutionnaire de son adolescence, son talent de poète aussi et s'il pratique encore l'écriture c'est pour s’enquérir de ses affaires avec ses associés restés en Afrique. La correspondance qu'il entretient cependant avec Isabelle et qui annonce sa venue dérange par son exclusivité et le tour personnel qu'elle prend. Il revient cependant dans cette maison où sa mère le considère comme une charge, lui, l'estropié qui ne pourra rien faire. C'est que, dans cette famille, les femmes sont solides, travailleuses et dures au mal et il n'y a jamais vraiment eu sa place malgré quelques rapide séjours. Isabelle est heureuse de le revoir, elle l'attend, se met à sa disposition quasi exclusive pour que ce séjour parmi les siens qu'elle suppose temporaire, lui soit le moins dur possible. C'est elle qui l'a accueilli, soigné, supporté ses blasphèmes et ses critiques, qui lui a parlé, qui l'a absout par avance pour tous ses débordements, qui l'a protégé contre la froideur de sa mère, contre la curiosité malsaine des paysans venus le voir comme une bête curieuse. C'est elle aussi qui l’accompagnera dans son dernier voyage vers la mort et qui reviendra avec son cercueil. Il meurt en novembre 1891 à 37 ans, avec ses rêves inaccomplis, son avenir à jamais brisé. Isabelle est attachée à sa mère à qui pourtant elle ne trouve aucune excuse, plus par devoir que par amour, cette femme indifférente, pingre, froide et autoritaire, figure tutélaire de cette famille désarticulée et déjà visitée par la mort puisque Vitalie, une autre fille est déjà morte.

 

Isabelle est une femme de devoir puisqu’elle s'est assigné celui de sauver cet homme diminué qui souffre autant dans son corps que dans son cœur. Elle le connaît, se souvient de son appétit pour les plaisirs terrestres, sa gourmandise du monde, sa liaison scandaleuse avec Verlaine, sait son penchant homosexuel et comprend très vite que s'il veut rejoindre Aden, c'est moins pour faire perdurer son aventure exotique ou faire une hypothétique fortune que pour rejoindre Djami, un jeune abyssin qui fut son amant. Il n'incarne pas seulement la souffrance, c'est aussi un homme tourmenté. Ce qu'elle veut, en tenant ce journal c'est certes faire perdurer la mémoire de son frère sans cependant la salir face à cette société bien pensante et hypocrite. Elle se sacrifie pour Arthur comme elle restera soumise et fidèle à sa mère. Elle est cette vieille fille, vierge, perpétuellement vêtue de deuil, trop bigote et maintenant trop laide pour espérer se marier (Elle épousera cependant Paterne Berrichon en 1897) . C'est un peu comme si elle était l'épouse de substitution d'Arthur. Elle avait mis beaucoup d’espoir dans ce frère qui lui est revenu quelqu'un trop longtemps absent et qui lui échappe. Tout au plus réussira-t-elle à sauver l'âme de ce mécréant!

 

Il y a dans ce roman des thèmes chers à Besson, celui de l'homosexualité mais aussi celui des liens fraternels qui justifient tout (déjà rencontrés dans « son frère »), celui de la famille destinée à s'éteindre faute de descendants, celui de la mort aussi. Ici aussi un vivant écrit pour un disparu, pour que son souvenir ne se perde pas, pour que les traces qu'il a laissées sur terre ne soient pas trop tôt effacées, pour qu'on garde une place pour lui dans la mémoire face à une espèce humaine oublieuse par essence ou par habitude. Les mots abolissent ainsi le temps, font échec à l'amnésie.

 

Je suis assez fasciné par la faculté qu'a l'écrivain, de raconter une histoire même fictive, de refaire le monde, de recomposer pour son lecteur l'histoire d'un personnage, de lui prêter des sentiments , des fantasmes et des phobies, face à la feuille blanche.

 

Comme je l'ai déjà dit dans cette chronique le style fluide de l'auteur me procure, comme toujours, un bon moment de lecture.

 

 

 

©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

 
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