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la feuille volante

SON FRERE – Philippe Besson

 

N°610– Décembre 2012.

SON FRERE – Philippe Besson - Juillard

Lucas Andrieu, le narrateur, va raconter, sous la forme d'un journal, avec cependant des analepses, les derniers moments de son frère, Thomas, atteint d'une incurable maladie du sang. Il le mêle, dans la relation qu'il en fait, à l'ambiance déshumanisée des hôpitaux, les tâtonnements des médecins, leur apparent détachement, les soins douloureux et parfois barbares aux souvenirs communs qu'il a avec ce frère qui va mourir. Il replace ces scènes à St Clément des Baleines, à l’extrême pointe de l’île de Ré où, selon une légende non vérifiée, des cétacés venaient mourir. Ici aussi se trouve leur maison de vacances, blanche, aux volets verts avec le ciel bleu et la sable fin, une vraie carte postale d'été. Face au silence obligé du début, à des parents très absents, incompréhensifs et impuissants, à Claire « aux yeux clairs »,  « la femme des petits matins, la femme embrassée sur le pas des portes », la compagne de Thomas qui choisit la fuite, Lucas va prendre l'énorme charge de cette douleur et de cette épreuve. Lui, l’aîné, le complice, accompagnera son frère jusqu'à la mort.[« C'est auprès de moi que chacun vient exprimer son angoisse, sa détresse. Pour la énième fois de ma vie, je joue le rôle du substitut de Thomas »]. Pourtant, la mort a déjà frappé cette famille ordinaire avec la non-naissance de Clément. Ce décès annoncé ne fait que raviver la douleur, le deuil, l'impuissance...

Ils ont peu de différence d'âge et se ressemblent physiquement comme des jumeaux mais leurs parents ont toujours préféré Thomas plus expansif, plus amoureux de la vie. Lucas, lui est solitaire et mélancolique. Pourtant, entre eux, il n'y a jamais eu de concurrence. Ils sont jeunes, ont la vie devant eux et des rêves plein la tête, mais l'un d'eux va mourir. La camarde va s'acharner sur lui, lentement, avec des périodes d'apparente rémission, dans un contexte apaisant des vacances à la mer, une sorte de dernier salut à la vie, dans le souvenir lumineux de ce qu'elle fut pour eux. Ils sont différents cependant puisque Lucas est homosexuel et que Thomas aime les femmes, mais cette différence renforce cependant leur fraternité, comme la maladie de Thomas l'affermira.

C'est un épisode de sa vie amoureuse et passionnée qui va revenir dans une histoire contée par un vieux pêcheur rétais et confirmée aussi, à la fin, par Thomas, la négation d'une paternité à venir, la fuite face aux responsabilités, la mort, déjà, comme une fatalité, dans les eaux bleues du pertuis [« On ne va pas contre la volonté de l'océan »]. Il choisira symboliquement le même trépas plutôt que sur un lit d’hôpital. J'y vois quelque chose comme une dette que Thomas aurait contractée et qu'il va maintenant payer un peu comme si ses souffrances lancinantes répondaient à celles de cette jeune fille désespérée qui a choisi de quitter la vie quelques années auparavant parce qu'elle ne supportait pas la lâcheté. Pire peut-être, c'est une faute qu'il expie.

Au début des investigations les médecins, inquisiteurs, l'interrogent sur d'éventuels rapports sexuels non protégés. On songe au sida pourtant vite écarté, regardé comme une malédiction mais aussi une forme de châtiment. Pour autant, on sent que la maladie est considérée comme une punition. N'a -t-on pas longtemps soutenu que la souffrance était rédemptrice ?

C'est une page qui se tourne, la fin de quelque chose, non seulement cette tranche de vie s'achève mais cette transition est associée à la mort du frère, un autre lui-même (« Cette mort prévisible, attendue, causera pourtant, à n'en pas douter, un cataclysme. Elle rejaillira sur nos existences. Elle les modifiera, leur fera prendre une direction imprévue »). Pourtant Thomas, cet amoureux de la vie accepte l'échéance au point de s'occuper lui-même de sa propre sépulture.

Comme souvent dans les romans de Besson, la mort revient comme un thème récurrent, la marque de la condition humaine, l’homosexualité aussi avec, comme en contre-point, une descendance qui ne sera plus assurée pour cette famille un peu désunie. Ici j'y vois aussi une volonté délibérée de ne pas donner dans le pathos malgré les termes techniques, l’épilogue annoncé, les questions posées, le lent cheminement vers la mort « Au fond, cette mort sera-t-elle autre chose qu'un long et lent suicide consenti ?  ».

Comme toujours aussi, ce roman a été pour moi un bon moment de lecture grâce au style fluide et agréable de l'auteur.

©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

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Commentaires

  • Eve-Yeshe
    mon préféré...

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